Cela faisait déjà trois jours que j’étais de retour à la maison. L’habitude avait vite reprit le dessus, comme si rien de ma dispute avec mon amant n’avait jamais eu lieu. A cela près que son comportement avait légèrement changé. Il était plus câlin et faisait des efforts adorables pour me prouver que j’étais bien de retour à ma place, chez moi, à ses côtés. Et que je n’avais plus intérêt à déserter comme j’avais pu le faire. J’avais pris ce tic bizarre de jouer avec le collier qu’il m’avait offert à chaque fois que je pouvais être stressé ou bien en pleine réflexion. Mes doigts glissaient sur le cadenas gravé, repassaient inlassablement sur les chiffres marqués dans le métal avant que je ne surprenne le regard de Neven à ma rencontre, me faisant lâcher prise automatiquement pour mieux reprendre contenance. C’était la première fois que je portais une chaine au cou. La première fois que je portais un bijou dans ce genre là. Et je ne l’enlevais jamais, comme si le cadenas ne pouvait jamais être ouvert, en accord avec le secret qu’il refermait. Et j’étais redevenu accro, évidemment.

Et quoi de mieux pour sceller pareille relation qu’un dîner ? J’étais partagé entre deux mondes, deux époques et de multiples envies. J’étais rouillé dans ce genre de trucs, réellement. Et après l’échec cuisant du bouquet de fleurs d’il y a quelques semaines, je n’avais vraiment pas envie de rater mon coup. Alors, comme toute personne de cette époque, j’avais profité d’un instant où Neven était occupé pour discrètement faire quelques recherches sur internet. J’avais été blasé face aux idées reçues que l’on inculquait aux jeunes de nos jours, puis par le manque d’imagination de tout ce qui pouvait défiler sous mes yeux. Frustré, j’avais fini par effacer ma recherche avant de jeter mon téléphone hors de ma vue. Et depuis, ça me trainait dans la tête. Il m’avait bien fallu une semaine entière pour tout préparer, pour tout organiser et être enfin certain que tout était parfait. J’avais jeté mon dévolu sur un traiteur que j’avais moi-même testé en rentrant du boulot, avais commandé la tonne de roses rouges que j’aimais tant et avais acheter une multitude de lampes donnant une ambiance que j’aimais particulièrement.

Enfin, nous y étions. J’avais glissé à Neven de ne pas m’attendre durant quelques heures, prétextant des papiers à régler pour le boulot. Heureusement pour moi, il me cru sans le moindre mal et j’eu alors tout le loisir de profiter de son sommeil de plomb pour tout préparer. J’avais monté sur le toit le matériel en toute discrétion, profitant allégrement de mes pouvoirs pour aller plus vite et être le plus discret possible, vérifiant de temps en temps que mon amant était toujours bien endormi dans notre lit. J’avais trouvé une table ronde et deux chaises dans la cave, laissées là par l’ancien locataire. Un petit coup de nettoyage et c’était parfait, comme fait juste pour ça. J’avais dressé la table, m’était appliqué dans la décoration de celle-ci avant de passer à l’ambiance générale avec les lampes. Ce soir, la lune était presque pleine, nous éclairant de sa lumière blanche absolument incroyable. Lorsque la dernière pétale de rose fut posée, je pris le temps d’admirer mon travail, voulant être certain de mon effet. Tout y était, sauf que le traiteur, que j’avais envoyé chez Marguerite pour l’occasion, qui m’avait gentiemment proposé son aide après que je lui ai exposé mon plan. Elle semblait d’autant plus ravie de faire partie de la confidence. Ainsi, tout ce préparait tranquillement chez elle sans que j’ai a intervenir. Le stress me tournait l’estomac, mais c’était le moment. Je soupirais, posait rapidement mes yeux sur l’heure qu’affichais mon téléphone. Il était temps pour mon amant de s’éveiller pour découvrir sa surprise.

Mes battements de coeur résonnaient dans mon crâne alors que je redescendais jusqu’à l’appartement, faisant comme si de rien était en passant la porte, laissant mes pas me conduire jusqu’au lit où je redécouvrais mon amour. Je me glissais à sa rencontre, venant me lover dans son dos avec amour en laissant mes lèvres embrasser ses cheveux, puis courir dans son cou que je mordillais en douceur.

« Bonjour toi. Je vois que mon absence a perturbé ton royal sommeil... »

Un sourire taquin s’agrandit sur mon visage alors que mon corps s’étirait pour épouser ses formes, mon torse venant épouser son dos, laissant mon nez rejoindre le creux de son cou. Je priais pour qu’il ne remarque rien des battements effrénés dans ma poitrine, ni de mon empressement palpable à le réveiller.

Avec le retour d’Az, l’appartement a retrouvé son âme. Et moi, une certaine stabilité. Nos nuits ont repris le même cycle qu’avant, rythmées au gré des allers et des venues du vampire, des heures de jeu-vidéos sur le canapé, et des parties de sexe inopportunes à travers chaque pièce du logement. Seulement à présent, je me surprends à guetter avec un peu plus l’angoisse l’heure de son retour. Je cherche à reconnaître le bruit de ses pas dans l’escalier principal ou à découvrir son odeur qui le précède dans le couloir. C’est totalement involontaire, et parfois je me dis que toute cette histoire me rend beaucoup trop vulnérable. Depuis quand j’ai besoin de quelqu’un à ce point ? Mais la question ne s’éternise jamais. Parce qu’Az finit toujours par passer le pas de la porte. Alors mon instinct de vampire se rendort au creux de mon ventre. Et le temps reprend son cours comme si de rien n’était.

Pourtant, aujourd’hui semble échapper à la règle. C’est la présence d’Az qui vient me surprendre. L’effluve de son parfum naturel chatouille mon odorat alors que ses mains autour de moi me tire doucement hors d’un sommeil de plomb. Ses moqueries m’atteignent à peine. Un grognement protestataire résonne dans ma gorge, tandis que le bout froid de son nez glisse impunément contre ma nuque. Ma peau sur cette zone s’hérisse instantanément avec délice, comme un réflexe parfaitement réglé. Mais peu importe les réactions incontrôlées de mon corps ; mon esprit semble peu enclin à émerger des bras de Morphée. Comme toujours.

- Tout comme ta présence on dirait …

Je marmonne ma taquinerie dans un sourire malgré tout heureux de le sentir contre moi. Les nuits passées seul dans l’appartement sont bien longues pour la plupart. Et je ne pensais pas trouver Az à côté de moi en me réveillant cette nuit.

Je m’agite plus ou moins entre son étreinte pour me retourner vers lui. Sans ouvrir les yeux, je passe à mon tour mes bras autour de lui pour l’emprisonner là. Je me cale confortablement, à deux doigts de sombrer à nouveau pour trois heures de sommeil supplémentaires.

- Qu’est-ce que tu fous encore habillé … Viens dormir.

Mon nez vient toucher le sien. Mais quelque chose m’empêche de soupirer d’aise. Az est agité. Beaucoup trop pour ne pas piquer ma curiosité. Mes paupières s’entrouvrent enfin, et je découvre son regard emplit d’une mystérieuse excitation. Je fronce les sourcils.

- Il s’est passé quelque chose ?

Sa réplique étire mon sourire sur mes lèvres. Même endormi, il a toujours du répondant, que je m’amuse à contrer de mes baisers sur sa peau alors qu’il tente de se retourner vers moi. Je le couve de mon regard alors qu’il ouvre péniblement les yeux, m’emprisonnant dans ses bras en me priant de le rejoindre au lit. Au final, je n’ai même pas le temps de lui répondre qu’il prend conscience de mon état d’excitation. Sans doute ai-je les yeux trop brillants de malice et d’amour, sans doute mon sourire me trahit plus que je ne veux bien l’admettre. Mes doigts se glissent le long de son visage pour lui offrir quelques caresses, se perdant dans ses cheveux alors que mon regard l’observait.

« J’ai quelque chose à te montrer. Habille toi. »

Je ponctuais mon ordre d’un baiser fiévreux mais furtif, bien trop excité et stressé à la fois. Je me détachais de lui sans attendre, sortant du lit pour aller vers le dressing. Je l’ouvrais à la volée pour choisir rapidement ses vêtements, les lui envoyant successivement à la tête en tentant de dissimuler mon sourire avant de me tourner à nouveau vers lui.

« Je t’attends dans le salon. »

Je traversais la pièce pour rejoindre la porte, un éternel sourire mystérieux aux lèvres. Une fois dans le salon, je récupérais le bandeau que j’avais préparé, l’attendant patiemment en faisant les cent pas dans la pièce sans m’en rendre compte. Ca faisait longtemps que je n’avais pas été aussi stressé. J’espérais que tout roulait avec le traiteur, j’espérais qu’il n’y ai rien qui foire. Soupirant longuement, je fermais les yeux pour me reprendre, me mordant la lèvre dans un tic nerveux. Il allait me prendre pour un con. C’était Neven. Mais tant pis. Tant pis. Il était trop tard pour reculer à présent. J’entends du mouvement dans la chambre, ses pas sur le plancher jusqu’à la porte alors que je me retourne en sa direction, retrouvant mes esprits en un coup.

« Parfait. »

Je m’approchais en l’admirant, me glissant dans son dos dans mon observation, venant embrasser la peau blanche de son cou, à l’endroit même de sa morsure, celle que je lui avais infligé pour le sauver.

« Ferme les yeux. Je vais te mettre un bandeau. Je n’ai pas envie que tu triches.»

Humant brièvement son odeur, mes mains glissèrent jusqu’à ses yeux pour les lui couvrir de mon bandeau. Je m’appliquais à faire le noeud, ponctuant mon geste en glissant mes lèvres jusqu’à son oreille.

« Prêt ? »

Ses doigts glissent naturellement sur mon visage. Ce contact me ferait presque ronronner de contentement. Un peu plus et ses furtives caresses le long de ma mâchoire me feraient oublier son étrange état d’excitation pour mieux me rendormir. Mais ses mots ne m’en laissent finalement pas l’occasion. Az a quelque chose à me montrer. Je rouvre les yeux. Hein ? Ça pique ma curiosité, presque avec inquiétude, et suffisamment pour m’empêcher de retrouver le sommeil. Il me coupe la chique d’emblée, avant même que mes lèvres ne parviennent à s’agiter. Az m’embrasse sans crier gare, d’un baiser gourmand et enflammé, avant de disparaître en un coup de vent. Mais … Je cligne bêtement des yeux en me redressant maladroitement sur un coude. Mes bras sont vides, je n’ai même pas eu le temps d’essayer de le retenir. L’effervescence qui l’anime me laisse perplexe. Le vampire est déjà planté devant l’armoire, mue d’une agitation incompréhensible. Il va trop vite pour que mon esprit embrumé soit en mesure de le suivre.

- Ça ne peut pas attendre un peu ? Pourquoi tu es si …

Le jeans que je me prends en travers du visage me coupe abruptement la parole. J’ai à peine le temps de m’en libérer qu’un autre vêtement m’arrive dessus. Puis un autre. Le tout agrémenté d’une paire de chaussettes propres. J’écarquille les yeux, scotché sur l’amas de fringues accumulés sur le lit, de plus en plus largué. Az traverse à nouveau la pièce en lançant ses instructions, me laissant seul dans la chambre.

- Okayyy, marmonné-je depuis le lit en observant encore quelques instants la porte désormais close. Sait-on jamais, qu’il revienne aussi vite qu’il a disparu.

Ma main passe sur ma figure pour me sortir de ma torpeur. J’espère au moins qu’il a préparé du café, pour compenser ma nuit écourtée. Et solitaire. Je grommelle encore un peu en attrapant les vêtements empilés sur mes jambes. Mes idées divaguent déjà, s’inquiétant de savoir ce que le vampire a derrière le crâne. La chemise que je trouve dans ma tenue visiblement imposée me fait d’autant plus froncer les sourcils. C’est quoi encore ce foutu merdier. Il compte m’emmener à un truc de vieux vampires ultra glauque ? Ou, j’en sais rien moi, un enterrement ? Pour quelle occasion on met des chemises, putain ? Un soupir m’échappe spontanément. Pourvu qu’il n’ait pas eu l’idée de refaire la déco de l’entrée et de fêter ça. Avec ses manies vieux jeu et ses goûts âgés de quatre-cents ans, ça serait atroce.

Mes gestes s’activent mécaniquement. Je me change, sans chercher à me magner plus que nécessaire. Je peux presque sentir mon amant fulminer derrière le mur qui nous sépare. Il y a quelque chose qui le travaille. C’est rare de le voir comme ça. Et quoi qu’il en soit, lorsque ça arrive, ça se ressent dans tout l’appartement.

Enfin je sors de la chambre en traînant des basques. Az réapparaît aussitôt, m’enveloppant de son odeur chargée d’agitation. Ses lèvres qui traînent dans mon cou, à l’endroit exacte de ma précieuse cicatrice, m’arrachent un violent frisson que je ne contrôle pas.

- Tu … Quoi ?

Je lutte contre la sensation grisante qu’il a provoquée sous ma peau pour m’accrocher au sens de ses mots. Le bandeau dont il parlait apparaît devant moi. Je me raidis aussitôt, parfaitement réveillé maintenant. C’est quoi cette idée foireuse ? Mais je ne peux pas m’extirper de là, Az m’empêche de reculer. Je grince des dents et ferme les yeux avec appréhension, comme si je craignais de recevoir un coup. Le tissu glisse déjà sur mes paupières. Merde, comment est-ce possible que je fasse à ce point confiance à quelqu’un que je ne connais que depuis trois mois ?

- Non, attends !

Je bloque résolument mes jambes pour l’empêcher de m’emmener vers l’inconnu, crispé de haut en bas. Az ne va pas s’en tirer comme ça. Ça suffit les mystères farfelus.

- Avant toute chose, je veux savoir combien de temps je vais devoir garder ce truc sur la tête.

Il m’arrête brusquement dans mon geste alors que je suis sur le point de l’entrainer avec moi hors de la pièce. Il semble comme tétanisé entre mes mains, comme incapable de faire le moindre geste tant que je ne lui aurais pas répondu. Je sens à quel point il est tendu entre mes doigts, je sens à quel point ce genre de choses le déstabilise. Il ne me fait pas confiance. Et je ne lui en veux pas le moins du monde pour ça. Loin de me démonter, je m’arrête pour lui accorder toute mon attention. Le diner pourra bien attendre quelques minutes de plus après tout. Faisant taire mon excitation, je fais en sorte de calmer les battements de mon coeur dans ma poitrine, mon torse toujours collé à son dos.

« Pas longtemps. Je te le promet. »

En douceur, mes doigts glissent sur ses bras jusqu’à ses mains pour mieux les emprisonner.

« Va falloir que tu me fasses confiance. Détend toi... »

Je susurres mes mots rassurants contre son oreille. Je n’ai pas envie qu’il ai la moindre crainte, le moindre doute sur mes intentions. Une partie de moi regrette de devoir en passer par là, après tout ce que nous avons déjà vécu ensemble. Je ne pensais pas devoir le rassurer à ce point. L’autre c’est déjà fait une raison. C’est Neven. Et Neven a besoin d’être rassuré même si il dit le contraire, ou bien même si il n’en a pas conscience.

« On y va dès que tu es prêt. »

J’attendais son feu vert, j’attendais qu’il m’autorise à l’engager dans la suite des festivités sans le brusquer. Lorsqu’enfin, je le vis bouger la tête de manière affirmative, je sus que c’était le moment. Mes doigts s’activèrent dans ses mains, les serrant avec force avant qu’en l’espace de quelques secondes, je ne nous catapulte sur le toit. Je prenais soin de garder précieusement mon amant contre moi alors qu’il reprenait conscience en l’espace qui l’entourait. Mon regard scrutait le décor que j’avais implanté plus tôt, s’assurant une dernière fois que tout était parfait avant qu’enfin, à nouveau, un sourire ne s’invite sur mes lèvres.

« On y est. Je vais enlever ton bandeau. Garde les yeux fermés. »

En douceur, mes doigts quittèrent ses poignets pour glisser sur les pants du bandeau dans son dos. J’enlevais le noeud réalisé précédemment avec doigtés, le laissant tomber au sol sans plus y prêter attention. Je repris mon inspiration, essayait de calmer mon coeur reparti au galop dans ma poitrine alors que mes yeux ne le lâchaient plus.

« Tu peux les ouvrir maintenant.»

L’air change brusquement dans un furtif courant d’air. Je reste figé contre Az, complètement dépendant de ses faits et gestes alors que nos doigts ne se sont toujours pas dessoudés. Ce n’est que le temps de quelques secondes avant que l’étourdissement du voyage ne se dissipe. Les bruits nocturne de la ville viennent presque aussitôt chatouiller mon oreille, bientôt suivis des odeurs caractéristiques de la vie citadine. On entend des rires au loin, des éclats de voix dans les rues alentour, et l’éternel ronronnement de la circulation. L’odeur de la nuit et de l’humidité grille mon odorat dans une petite brise glacée. Nous sommes dehors, et paradoxalement, tous les signaux me poussent à croire que nous sommes en hauteur. La voix de mon amant s’anime à nouveau contre ma tempe. Les petits poils de ma nuque se hérissent avec délice, d’autant plus réceptifs à son timbre depuis que j’ai perdu la vue. Ses mains me délaissent pour mieux défaire le bandeau autour de mon visage. Le tissu se desserre avant de glisser sans bruit vers le sol. Je retiens mon souffle, sans parvenir à retenir la courbe d’un petit sourire en coin sur mes lèvres. Az n’a pas menti. Ça n’a pas duré longtemps. Et surtout, mes sens me confirment qu’il n’y a que nous deux ici. La curiosité me pique le ventre, même si je prends le temps de savourer encore un peu cette sensation avant d’ouvrir les yeux.

La première chose que je remarque, ce sont les guirlandes. Ces dizaines de petites leurs dorées, à l’éclat chaleureux, perçant discrètement la fraicheur obscure de la nuit. Mes paupières papillonnent. Mon attention se précise sur les pétales dispersés sur le toit de l’immeuble. Je suis les lignes aléatoires qu’elles forment tout autour de nous. Jusqu’à parvenir sur la table. Un meuble sculpté dans le bois, ancien et transpirant l’élégance. Surmonté d’un service savamment disposé et d’une minuscule bougie blanche.

Je me sens con, complètement pris de court. Je reste immobile, à m’imprégner des différentes lumières de l’endroit et des milles et uns messages cachés qui trahissent-là l’œuvre de mon vampire. Qu’est-ce qui se passe ? Un mariage ? La question flotte bêtement sous mon crâne. Bien sûr que non, Nev. Fais un effort, arrête d’être aussi stupide. J’expire tant bien que mal tout l’oxygène coincé dans mon buste en admettant enfin que tout ça n’est pas là par hasard. L’étrange tension qui s’était accumulée en moi en découvrant la scène redescend quelque peu. Az a fait tout ça, pour moi, je crois. Un tressaillement manque de m’ébranler une fois encore. C’est saisissant. Ça me serre tant le cœur que, pour une fois, je ne trouve rien à dire. On n’avait jamais fait ce genre de trucs pour moi.

Mes yeux trouvent enfin ceux du vampire. Je croise un bref instant l’azur qui le caractérise, avant de détourner mon attention sur le décor. Peut-être bien que je suis incapable de soutenir son regard, là, maintenant, alors que la pénombre voile plus ou moins le picotement vif de mes joues.

- C’est … magnifique, Az.

L’aveu glisse à travers mes lèvres alors que je bouge enfin. Je m’avance de deux pas, juste ce qu’il faut pour laisser mon doigt effleurer un petit lampion aux couleurs ambrées. Une nouvelle brise vient agiter doucement la guirlande. Je crois que mon organe vital s’en retrouve chahuté en même temps, par un tout autre vent chargé d’émotions. Je me tourne une nouvelle fois vers mon amant, cherchant des réponses sur le pourquoi de tant d’efforts.

- Tu … as fais tout ça tout seul ?

Mon regard le suit, l’observe, ne veut rien manquer de sa réaction alors que mon palpitant est déchainé dans ma poitrine. L’instant de vérité est arrivé. Je retiens presque mon souffle, tant je suis stressé à la simple idée d’entendre son rire moqueur éclaté d’un instant à l’autre. Mes dents mordent distraitement ma lèvre lorsque je constate tout l’effet que ma surprise a sur lui. Il semble brièvement perdu dans la contemplation de ce qui nous entoure, ce qui est bon signe. Puis, il se tourne enfin vers moi, croisant mon regard avant de s’en échapper tout aussi vite. Il rougit. Je ne peux pas clairement le voir à cause de la noirceur qui nous entoure mais, c’est bien le cas. Le soulagement s’abat brusquement sur mon corps lorsque sa voix se fait de nouveau entendre. Ca lui plait.

Mon sourire s’étire sur mes lèvres en réponse à son compliment. L’effet est réussi. Bien qu’il semble chamboulé par ma surprise, je peux voir à quel point il est sincère. Je n’ai toujours pas bougé alors qu’il avance de quelques pas, ne pouvant m’empêcher de simplement sourire en constatant l’effet que tout cela peu avoir sur lui. Le Neven que j’ai sous les yeux est bien loin de celui que j’ai attaché à mon canapé il y a de cela quelques mois. Très. Très loin.

« Et je suis ravi que ça te plaise autant. »

Enfin, je retrouve l’usage de mon corps. Mes jambes bougent, lentement, pour me rapprocher de lui, réduire à néant la maigre distance qui nous sépare pour le rejoindre. A mon tour d’effleurer la lampe, de laisser mon regard trainer sur le décor que j’ai moi-même monté il y a à peine quelques heures.

« C’est... Ma façon à moi d’officialiser les choses. »

A nouveau, mes yeux croisent les siens. J’aurais presque du mal à tenir son regard si je n’étais pas aussi sûr de moi à cet instant.

« C’est ma façon à moi de te dire que je t’aime. »

Je ne sais pas où je trouve l’aplomb de tenir son regard, même quelques secondes, avant de le quitter pour glisser vers la table, entrainant le reste de mon corps en sa direction. Je lui présente l’installation d’une main avant d’écarter la chaise, l’invitant à prendre place sur celle-ci.

« J’espère que tu as faim. Et soif. Je nous ai pris un Grand Cru pour l’occasion. Tu m’en dira des nouvelles. »

Je fis le tour de la table, prenant en main la bouteille de vin qui y était déposée là pour la lui présenter.

« Un Saint-Emilion. Il est divin, tu vas voir. »

J’ouvrais la bouteille avec aisance, faisant résonner le bruit caractéristique de la bouteille avant de servir le liquide carmin dans son verre, me servant ensuite avant de la redéposer à sa place, puis de m’asseoir à la mienne. Je levais mon verre à ma hauteur, attendant qu’il m’imite en plongeant mon regard déjà ivre d’amour dans le sien.

« A nous. »

La surprise me laisse dans une confusion maladroite. Je n’ai aucune idée de comment réagir, quoi dire, quoi faire. L’endroit est splendide, jusque dans ses moindres détails. Jamais je n’aurais pu imaginer une chose pareille sur le toit de l’immeuble. Jamais je n’aurais pu imaginer une chose pareille tout court. Mes yeux s’accrochent aux mouvements d’Az. A son geste pour chahuter doucement la guirlande étincelante. Ses lèvres s’activent à nouveau. Ses explications m’électrisent sans crier gare. Je suis soufflé devant la sincérité de son attitude, de la simplicité avec laquelle il peut prononcer un tel aveu, comme s’il n’y avait rien de plus naturel au monde. Je tressaille tout entier. Ça réveille une vague brûlante et enivrante dans le creux de mon ventre. La sensation piquante se glisse sous ma peau. Ses mots résonnent encore en écho dans ma tête. Je suis complètement renversé. Et, merde, je n’ai vraiment aucune idée de comment gérer ça.

Je crois que j’ai ouvert la bouche pour répondre quelque chose, mais rien n’en est sorti. Ou alors je n’ai rien entendu. Az s’éloigne en direction de la table, et mes pieds lui emboîtent finalement le pas par automatisme. Le vampire expose le programme à venir. Il présente une bouteille de vin. Et moi je suis toujours en train de me répéter qu’Az a préparé une putain de soirée romantique, sans comprendre un traitre mot à ce qu’il me raconte. Mon cul atterrit par je ne sais quel miracle sur la chaise. Mon attention reste accrochée à lui, juste à lui, entouré des multitudes de tâches dorées qui peuplent le toit. Alors qu’il verse le breuvage carmin dans les verres, je prends conscience de toutes ces années qui me manquent par rapport à lui. De son éducation d’un autre temps et de son aisance par rapport aux choses-là. De la facilité qu’il a à mener toute cette surprise savamment organisée, alors que je me retrouve figé sur mon siège, sans oser bouger par peur de défaire l’harmonie des jolis couverts.

Y’a vraiment que Az pour me balancer sans vergogne dans cet état-là.

Je bouge enfin lorsque son verre apparaît devant mes yeux. Mes doigts s’éveillent pour s’emparer du mien sans plus chercher à trop réfléchir. Le tintement profond que le récipient produit lorsqu’il vient toquer contre son jumeau me laisse penser qu’il ne s’agit pas d’un simple verre grossier. Je souris, cherchant à ne pas trop me crisper en me rendant compte que la flute en cristal aurait tôt fait de voler en éclat si je la serrais trop fort.

- A nous, répété-je dans son sillage en arrimant mes yeux aux siens.

Ma voix n’a rien de bien vaillante. Je l’entends à peine percer le vacarme assourdissant que produit mon palpitant au fond de ma poitrine. Le regard d’Az ne me lâche pas, et je suis incapable de m’en détourner à présent. Je prends une première gorgée. La saveur du vin éclate sur mes papilles de vampire. C’est délicieusement étourdissant. J’avale difficilement néanmoins, chassant au passage ce nœud d’émotion qui me serrait la trachée.

- Attends mais … ça ne coûte pas un bras, ce genre de bouteille ?

Je quitte son visage pour me concentrer sur le liquide rouge dans le verre. Même l’odeur qui s’en échappe à quelque chose d’ancien et de précieux. Bon sang, combien de loyers aurais-je pu payer avec ce vin ? Je repose le verre avec mille précautions sur la table, veillant à éviter tout accident. Mes yeux remontent vers mon amant, quelque peu gênés.

- C’est beaucoup trop dingue Az ... Je pourrai jamais t’offrir un truc aussi réussi.

L’idée, l’organisation, les mets hors de prix … J’ai décidemment un mal fou à croire que tout ne va pas partir en fumée au premier caprice du vent.

Nos verres tintèrent joliment l’un contre l’autre avant que je ne porte le mien à mon nez, humant son parfum un instant avant de le guider vers mes lèvres. Il était délicieux, de par son odeur autant que par son goût. Ca faisait longtemps. Très longtemps que je n’avais pas goûté un aussi bon vin. Et rien que pour ça, je ne regrettais pas la fortune que j’avais dû dépenser pour l’avoir. En voyant la réaction de Nev à la lampée qu’il venait de prendre, je ne regrettais définitivement pas mon choix. Mon sourire s’arqua sur mon visage lorsqu’il prononça ses mots, amusé et pas surpris le moins du monde par de telles paroles.

« Si. Mais ça en vaut le coup. »

En harmonie, nos verres rejoignent leur place respectifs sur la table alors que mon regard s’arrime à nouveau à lui. Ca lui va divinement bien, cette chemise bleu nuit que je lui ai sorti de sa garde robe. Ca laisse apparaitre juste ce qu’il faut de son torse, met en valeur les courbes de ses muscles. Le fait qu’il soit encore gêné ne fait que le rendre d’autant plus désirable. Qu’est-ce qu’il peut être adorable lorsqu’il est troublé. Ses mots s’infiltrent à nouveau dans l’air alors que je prends une place plus confortable sur ma chaise, m’approchant un peu plus de la table. Mes sourcils se froncent un instant sur mon visage avant que mon sourire ne s’éclaire à nouveau. Adorable.

« Personne ne te le demande. Et puis... Tu as bien d’autres talents. »

Mon sourire se fait malicieux alors que je prononce mes derniers mots. J’en profite pour reprendre une gorgée du délicieux vin, avant de clairement distinguer une sonnerie caractéristique parmi tous les bruits de la ville qui nous entoure. C’est le signal. Le repas est prêt.

« Ah, le repas est prêt. J’arrive tout de suite. »

Le temps de déposer mon verre et je filais en une seconde jusqu’à la demeure de ma chère voisine, un grand sourire aux lèvres. Je récupérais les entrées, une dans chaque main, puis pris de l’élan et fit le chemin inverse, ne m’arrêtant dans ma course qu’une fois sur le toit. Les lèvres toujours étirées sur mes joues, je m’approchais de la table, glissant les plats à nos places respectives.

« Tartelette croustillante de filets de rouget, compotée d’oignons et poivrons doux au jus de basilic. »

Fier de moi, j’interceptais le regard de mon compagnon, ne pouvant m’empêcher de lâcher un léger rire avant de revenir m’asseoir à ma place. Je jettai un oeil à mon assiette, fier de mon choix. En espérant que ça lui plaise, évidemment.

« Bon appétit. J'espère que ça te plaira.»

Sa réponse m’aurait fait m’étouffer dans mon vin si je n’avais pas reposé mon verre. Bien d’autres talents ? Je lui lance un regard éberlué. Je ne l’avais pas vu venir celle-là. Az passe d’une surprise romantique à ce genre de remarque, sans fioriture. Comme ça. Je vois. Un sourire railleur relève le coin de mes lèvres alors que je hausse un sourcil caustique. Le vampire se lève finalement pour aller chercher la suite. Il ne tarde pas à réapparaître, muni de deux assiettes. L’odeur de la nourriture me chatouille l’odorat. Mon estomac frémit d’envie. Je découvre la nourriture comme un gosse devant un plat de frites alors qu’Az dépose ma part devant moi. Ca sent bon, et en plus c’est foutrement joli.

- C’est toi qui as cuisiné ?

Je pose la question l’air de rien, en cherchant à dissimuler la curiosité grandissante dans mon ventre. Où est-ce qu’il a bien pu cacher ça ? Il n’y avait rien dans la cuisine tout à l’heure, ça, c’est certain. Je l’aurais senti.

J’attends qu’il retrouve sa place en face de moi avant de me saisir de ma fourchette. Ma jambe vient se caler innocemment contre la sienne sous la table alors que je calque franchement mes yeux dans les siens.

- J’aimerais qu’on revienne sur ce que tu as dis juste avant. Alors comme ça j’ai des talents particuliers, hm ?

Ma fourchette se plante dans l’assiette sans que je ne relâche son regard. J’ouvre la bouche et attrape le morceau de rouget coincé au bout de l’ustensile, sans même lui jeter le moindre coup d’œil. Je plisse imperceptiblement des yeux en mâchant ma première bouchée. Les saveurs du plat explosent sur ma langue, mais mon attention reste figée sur Az, sur l’éclat céruléen de ses prunelles, et sur les courbes malicieuses de ses traits.

- Délicieux, lâché-je dans une esquisse de sourire provocant.

Depuis combien de temps n’avais-je pas manger un repas humain comme celui-ci ? Impossible de m’en rappeler. Ca fait bien trop longtemps. La force des années à fait que j’ai fini par délaisser ce genre de besoin purement humain, au point de même oublier de me faire plaisir. Sans parler de l’époque où je n’en avais simplement pas les moyens. Une fois de plus, je me surprenais à penser que Neven avait un impact bien plus grand sur ma vie que ce que je voulais bien m’en convaincre. Il me faisait redevenir un peu humain, sans même en avoir conscience. Une fois de plus.

« Non, je n’ai pas ce talent. Je laisse ça aux professionnels. »

Ma réponse à sa question flotte dans l’air en échappant au sourire qui étire mes lèvres. Ma fourchette plonge dans le plat pour attraper le met semblant si délicieux avant de le porter à ma bouche. Je goûte la nourriture avec un plaisir que je n’avais plus ressenti depuis longtemps. Les poches de sang à côté de ça, c’était vraiment insipide. Et ça me faisait un peu plus réaliser la peine de mon amant à en manger tous les jours. Peut-être qu’il faudrait faire ça plus souvent ? En moins couteux ? Pourquoi pas.

Mon regard se relève vers son visage lorsqu’il reprend la parole. Evidemment, ça, il n’est pas passé à côté. Mon sourire se réhausse doucement sur mes joues, ne manquant pas une miette de ses faits et gestes alors qu’il goûte le plat à son tour. Un frisson remonte le long de mon échine au moment même où sa réaction perce le silence. La scène est bien trop délicieuse pour ne pas me faire de l’effet.

« Hum hum. Tu as un talent tout particulier pour t’attirer des ennuis. »

Mon sourire se fait railleur alors que mes yeux ne le lâchent à nouveau plus, que ma main reprend possession du verre pour marier le liquide au reste du plat. J’ai bien choisi. C’est un sans faute, un délice pour le palais. Mais ce que j’ai sous les yeux est au final bien plus intéressant. Mes yeux trainent sur son corps une nouvelle fois, pour mieux revenir jusqu’à l’intensité de ses iris à présent bien moins gênées qu’il y a quelques minutes.

« Tu es doué pour les cadeaux, aussi.... »

Mes doigts glissèrent jusqu’à mon pendentif que je frôlais comme à mon habitude, retraçant légèrement ses gravures avant de le relâcher, le laissant reprendre sa place sur mon torse. Mon dos quitta le fond de mon siège, m’approchant de la table pour mieux plonger mes yeux enflammés de désir dans les siens.

« Et tout particulièrement avec ta bouche. »

Mes yeux s’agrandissent de surprise alors qu’il me délivre quelques détails sur l’organisation de la soirée. Le diner a été laissé aux soins « des professionnels ». Az sous-entend-il vraiment qu’il s’est offert, en plus de cette bouteille de vin, les services d’un cuisinier ? Il est … fou. Complètement fou. Je ne réponds rien, me contentant d’apprécier secrètement cette découverte, sans parvenir à lutter contre la chaleur fébrile qui me chatouille le ventre. Ses mots précédents traînent encore dans ma tête. C’est ma façon à moi de te dire que je t’aime. Ses attentions me touchent tellement que je me retrouve comme un con privé de parole. Je n’arrive même pas à lui dire merci. Pour tout ce qu’il me concède, au-delà de tous les jolis mets et boissons de luxe. Pour tout ce qui fait qu’il est lui, et pour toutes ces choses inouïes qu’il a implanté dans ma vie. Qu’importe si c’est éphémère. Qu’importe le temps que ça peut durer. La seule chose que je sais, c’est que mon corps me brûle d’envoyer valser cette table qui nous sépare. Que mon palpitant malmené trépigne à la simple idée d’écraser mes lèvres contre les siennes. De lui dire tout ça, sans parler, juste avec un baiser.

Mais il serait dommage de gâcher le repas. Vraiment dommage, alors que mes papilles semblent enfin se réconcilier avec la nourriture humaine. Ma provocation passée, je me laisse aller aux saveurs savamment travaillée et aux épices subtilement distillées dans mon assiette. Bon sang, même dans ma vie passée, je n’ai jamais mangé un truc aussi raffiné. Le vin pétille sur ma langue, laissant contre mon palais une délicieuse sensation gustative.

Az répond à ma fausse question en prenant son temps. Mes yeux bloquent inconsciemment sur le mouvement de sa trachée lorsqu’il avale une nouvelle gorgée d’alcool. Un sourire flotte sur mes lèvres en réaction à ses premières paroles. Puis mon attention suit le mouvement de ses doigts vers le bijou qu’il porte. Ça arrache un nouveau sursaut d’excitation à mon cœur. Et enfin, il lâche ce qui lui démangeait sûrement les lèvres depuis le début. Il plonge vers moi l’un de ces regards d’une intensité renversante dont lui seul a le secret. C’est plus fort que moi, ma respiration s’emballe en saisissant tout ce que contiennent ses iris cobalt. Un désir beaucoup moins tendre et bien plus brut prend naissance dans ma chair. A nouveau, la table me paraît bien trop encombrante à mon goût. Un sourire narquois vient prendre place sur mon visage, alors que je me laisse happer par la chaleur de ses prunelles et tente de résister à mes instincts primaires.

- Voyez-vous ça …

Je suis incapable de bouger. Son regard me tient coincé là. Et par ailleurs je ne suis pas certain de ne pas lui sauter dessus au prochain mouvement que mon corps s’autoriserait à esquisser.

- Si tu savais comme j’ai hâte de passer au dessert.

Mes poumons récupèrent un peu d’oxygène. Et finalement, je parviens à déplier un bras par-dessus la table. Mes doigts se glissent autour du verre en cristal, que je m’amuse à faire tourner distraitement. Le sang s’éveille plus vivement dans mes veines. Mes yeux quittent enfin les siens lorsque je prends une nouvelle gorgée de vin pour me remettre les esprits en place. Mon dos part se caler au fond du dossier, réajustant une distance plus sage entre lui et moi. Pour le moment. Un peu de tenu Nev, merde.

- C’est Marguerite ta complice, n’est-ce pas ? Les meubles, le service chaud … Je ne vois pas d’autre explication.

Je plisse les yeux en retrouvant les traits de son faciès, comme pour mieux lire dans ses pensées. Qu’est-ce qu’il peut bien me réserver pour la suite ?

Il ne bouge pas d’un cil sous mon regard de braise. Je ne peux pas m’empêcher de me mordre la lèvre en une nouvelle provocation. Sa remarque arque mon sourire malicieux. Il ne m’en faut pas plus pour faire grossir la bosse déjà présente dans mon pantalon. Enfin, il quitte mon regard pour reprendre une gorgée de vin alors que je m’éloigne doucement, reportant mon attention sur mon plat en ne pouvant pas m’empêcher de sourire. Une nouvelle fois, je déguste avec un plaisir palpable chaque ingrédient présent. Il reprend la parole au moment même où c’est à mon tour de reprendre du vin, créant un sourire amusé sur mon visage.

« En effet. Elle m’a beaucoup aidé. Tu l’aurais vue quand je lui ai proposé l’idée, on l’aurait dit rajeunie de vingt ans. »

Je ne pouvais m’empêcher d’en rire. Je devais beaucoup à Marguerite. Beaucoup. Et pas seulement le repas, mais tout le reste. Mon regard se perdit quelques secondes sur le verre en cristal que je tenais entre mes mains. Il faudrait que je lui rende la pareille, à un moment où à un autre. 

« Elle m’a prêté son appartement pour pouvoir accueillir le traiteur. Sur ce coup là, je lui dois une fière chandelle. Je ne sais pas comment j’aurais fait sans sa participation. »

Mes yeux quittèrent le verres pour revenir à son visage. C’était en grande partie grâce à elle, si j’étais avec Neven. Je n’aurais jamais assez de mon éternité pour lui en être reconnaissant.

« Prêt à passer à la suite ? »

Mon regard était redevenu gourmand alors que je déposais enfin mon verre à sa place avant de me redresser sur mon siège. Je remarquai son verre presque vide, me levait pour nous en resservir, reposant la bouteille ensuite. Je fis le tour de la table, me glissais derrière la chaise de mon amant. La vision de son cou était trop tentante pour que je n’y cède pas. Mes doigts s’égarèrent telle une caresse le long de sa jugulaire, mes lèvres prirent place sur leur sillage pour mieux remonter jusqu’à son oreille, frôlant sa peau de mon souffle chaud.

« Tu as encore faim j’espère. »

La bouteille de vin réapparaît entre les mains de mon amant alors que j’accroche l’esquisse du sourire ravi qui flotte sur ses lèvres depuis tout à l’heure. Le précieux breuvage aux couleurs entêtantes coule dans mon verre avec un discret clapotis. Mon attention n’a pas le temps de se défaire du mouvement fluide du liquide contre le cristal, que déjà Az s’est glissé comme une ombre dans mon dos. Comme ça arrive encore parfois, je me tends sensiblement par automatisme en le sentant derrière moi. Invisible. A me frôler de son aura ancienne et prédatrice. C’est d’autant plus grisant lorsque ses doigts entrent en contact avec ma peau. Un gémissement enivré m’échappe alors qu’il remonte ce chemin si sensible le long ma jugulaire. Ma tête part inconsciemment sur le côté pour mieux laisser place à ses lèvres contre ma gorge. Est-ce qu’il va me mordre ? Est-ce que le repas humain a réveillé un appétit bien plus sanguinaire en lui ? Mon sang frémit et s’agite sous ma peau rien qu’à cette pensée. Mais c’est le souffle de sa voix qui s’échoue contre mon épiderme. Sa question flotte dans l’air, m’électrise de la plus délicieuse des manières, et me tire un sourire narquois malgré la frustration qu’il m’impose. Ma main se lève. Je cale ma paume contre sa nuque pour l’empêcher de filer trop vite. Mon visage se tourne juste ce qu’il faut vers lui alors que je rejette la tête en arrière. Ma bouche effleure la sienne tandis que mes yeux mi-clos se fondent chaudement dans les siens.

- Je suis affamé, Az.

Mes mots meurent contre ses lèvres que je me refuse d’embrasser, juste pour le plaisir de lui rendre cette tension qu’il a subtilement déposé dans mon cou. Je sens mes canines menacer de poindre contre mes joues. Je ne précise pas de quelle faim je parle. De ma faim de lui, de celle de sentir ses crocs dans ma chair, ou de celle clamée par mon estomac.

- Mais tout dépend de ce que tu nous réserves pour la suite …

Mes doigts libèrent sa nuque et tombent dans le vide. Mon regard se fait moins fiévreux alors que je lui rends sa liberté. Je lui souris. Perdu entre silencieuse provocation et amour transi. Bon sang regarde comment tu me rends, Az.

Sa main qu’il glisse dans ma nuque irrisse mes poils sur leur passage. Ses mots agitent un peu plus le feu grondant peu à peu dans mon ventre alors que mon sourire réponds de la même manière au sien. Notre frustration commune est palpable, mais aucun de nous deux ne semble décidé à céder le premier. Cette constatation grise un peu plus mes sens en éveils. Ses lèvres si proches sont une délicieuse torture, une provocation à laquelle je refuse de répondre même si j’en meurs d’envie. Patience Az. Patience.

« Tu vas adorer. »

Sa main me rends ma liberté, à mon plus grand damn. Le sourire que j’accroche sur son visage chahute un peu plus mon coeur, donnant de l’impulsion aux sentiments puissants qui m’animent pour lui. Ce sourire, je le chéris comme la chose la plus précieuse au monde à cet instant. Mes dents mordillent furtivement son lobe avant que je ne quitte le creux de son cou, choisissant d’ignorer l’envie grondante de mes instincts me dictant d’en finir en le plaquant à même la table sur laquelle je récupère ensuite nos assiettes. Je lui lance un dernier regard avant de m’éclipser à nouveau, allant chercher une fois de plus la suite des festivités. Je profite de ma petite course pour tenter de calmer mes ardeurs, de ne pas me laisser envahir par les multiples pensées perverses qui m’assaille. Il n’y a que lui pour me mettre dans un tel état.

« Carré d’agneau rôti et son jus d’herbes fraîches. Monsieur est servi. »

Un clin d’oeil à sa rencontre plus tard, je me rassois à ma place, prenant garde à ne pas laisser mon regard trainer trop longtemps sur mon amant tandis que je reprends une gorgée salvatrice du bon vin que je nous ai resservi. Mais admettons le, c'est impossible. Impossible de ne pas glisser mes yeux sur cette peau que j'ai embrassé il y a a peine quelques minutes. Ne craque pas Az. Pas encore.

Les quelques secondes durant lesquelles il s’absente pour aller chercher la suite sont salvatrices. J’inspire longuement pour gaver mes poumons d’air frais et me remettre les idées en place. Ma main passe dans mon cou, pour essayer de gommer définitivement les ultimes picotements brûlants que mon vampire y a disséminé. J’ai à peine le temps de soupirer qu’Az est déjà de retour. Une nouvelle assiette prend place devant moi alors que je me prépare déjà à reprendre cet étrange échange sous-tension que nous entretenons. Je me réinstalle plus convenablement sur mon siège, laissant mes yeux dévorer silencieusement le moindre de ses gestes. Je guette, avide, le moment où ses mouvements déraperont. Où les belles formes imposées par le diner n’auront plus lieu d’être. Et où le désir sous-jacent qui se fortifie peu à peu sous cette table prendra le dessus.

- Bon appétit …

Je capte brièvement son regard avant de m’attaquer à l’assiette sans plus tarder. Les saveurs m’attirent, mais mon instinct me souffle également que ne pas trop traîner à manger mon plat serait dans mon intérêt. Je glisse un morceau de viande contre ma langue avant de relever mon attention entière sur lui. Comme tout à l’heure, je surprends à nouveau cet éclat insatiable au fond de ses iris. Mon attention glisse sur ses lèvres figées, encore humidifiées par sa récente gorgée de vin. J’essaye tant bien que mal d’ignorer la chaleur grandissante qui se déploie toujours plus dans mes membres.

- Tu avais raison. J’adore.

Je repose ma fourchette avant de me pencher vers lui. Mon coude s’appuie contre la table, pour me permettre de caler mon menton contre ma main. Me désintéressant finalement complètement de la nourriture, je soutiens les yeux d’Az, guidé par une attirance irrépressible. Un fin sourire se dessine presque avec insolence sur mes joues mal rasées.

- A moins que ce soient les talents particuliers de ma bouche qui veulent ça … Et toi ? Tu apprécies ?

Mes yeux observent avec une obsession excitante le moindre de ses gestes. Ses mains coupant la viande à l’aide de ses couverts, la fourchette se plantant dans la chair, ses lèvres qui s’entrouvre pour accueillir le met sur sa langue que j’entrevois à peine. Je dégluti sans pouvoir m’en empêcher, reprenant une gorgée du nectar pour couvrir mon excitation. Je n’ai même pas encore touché à mon plat, trop concentré sur lui, fasciné par chacun de ses mouvements, par les traits de son visage se muant en harmonie avec les émotions qui le traverse en mangeant ce probablement délicieux morceau de viande. Je crois que je n’ai jamais vécu un repas aussi érotique. Ou bien, je ne m’en rappelle pas. Pas comme ça. Mélange de tension sexuelle et d’amour transit. Mon coeur oscille entre amour pour lui et excitation à chaque fois que mon regard croise le sien. Chaque fois que je le vois perdu entre les deux même mondes, autant que je peux l’être. Je ne sais pas d’où je sors une telle retenue. Sans doute dans l’idée de ma perfection pour ce diner que j’ai mis quelques jours à préparé. L’idée de vouloir à ce point combler cet homme dont les lampions encadrent la vision. Le désir égoïste de vouloir qu’il se rappelle de cette soirée et de tout ce qu’elle représente. Sans doute, un mélange de tout ça.

Enfin, mon attention retombe dans mon assiette. Il est grand temps de goûter ce plat. La première bouchée explose sur ma langue, me tirant un gémissement de plaisir gustatif que je n’arrive pas à retenir. Lorsque je relève les yeux, mon amant me semble désintéressé de son assiette, ses yeux cherchant les miens, chargés d’une intensité diaboliquement envoûtante. Sa remarque invite un sourire à la fois amusé et mutin sur mes lèvres, essayant difficilement d’ignorer ce sous entendu horriblement pervers.

« C’est vraiment... Divin. »

Mes yeux se plissent imperceptiblement, mes dents mordant ma lèvre par inadvertance. Je fixe son regard, ses yeux noisettes brûlant d’un feu devenant peu à peu bien trop tentant pour que j’y résiste. Je n’ai qu’une envie, passer tout de suite au dessert. La vision de sa bouche enrobant un fruit est bien trop irrésistible pour que je ne la provoque pas.

« Tu as fini ? »

Dépêche toi Neven. J’ai tellement hâte de passer à la suite.

Mes yeux se fixent sur sa lèvre maltraitée par ses dents. Ce geste appelle un grondement silencieux de la part de l’animal caché au fond de moi. Az me rend mon regard, et je sais alors avec certitude que ce repas n’ira pas jusqu’à son terme. Si ce n’est pas lui qui y met fin prématurément, je ne tarderai pas à le faire moi-même. Sa question flotte dans les airs. Une réponse provocante picote le bout de ma langue, tout comme mon envie de lui sauter dessus. Mais j’inspire longuement avant d’acquiescer, prenant le temps de rabrouer ce désir ardent et encombrant dans mon bas-ventre.

- J’ai fini oui, merci.

Même si je n’ai pas terminé mon assiette. La faim qui me tiraille n’a plus rien à voir avec la nourriture désormais. Plus du tout. Je trépigne presque d’impatience à l’idée de passer à la suite, de sentir approcher cet instant où ni lui ni moi n’auront la patience de procéder par sous-entendus. Mon regard ne l’a toujours pas quitté lorsqu’il se relève pour passer à son ultime service. Je me plais à détailler sa silhouette svelte, enfermée sous une chemise d’un rouge sombre. La couleur fait ressortir la pâleur entêtante de sa peau sous son col entrouvert. Un sourire mutin se glisse aux coins de mes lèvres. Mon serveur de ce soir n’a pas poussé le vice jusqu’à porter un nœud papillon. Dommage, la surprise aurait été d’autant plus grande.

Et encore mieux emballée.

Dépêche toi de ramener le dessert Az.

Une dernière fois, mes pas me conduisent jusqu’à l’appartement de Marguerite. Il n’est plus temps de tenter de calmer mes ardeurs. Plus du tout. Je récupère le dessert en donnant congé au traiteur, ignorant royalement son regard réprobateur vis à vis du bol rempli de fraises que je tiens dans l’une de mes mains, un autre rempli de chocolat de l’autre. Marguerite se contente de m’adresser un regard rempli de malice, me renvoyant tout aussi vite rejoindre mon amant avant même que le traiteur ne soit parti. Mon sourire barre mon visage alors que je grimpe une énième fois les marches à grande vitesse, apportant le tout à table en ne manquant pas une miette de la réaction de mon amant.

« Je sais à quel point tu aimes les fraises. »

Cette fois en revanche, je ne me rassois pas. Je laisse mes doigts glisser à la rencontre du bol de fruit, s’emparer délicatement de l’un d’eux pour mieux le tremper dans le liquide chocolaté à disposition. Mon geste se poursuit, ma main portant la fraise jusqu’à mes lèvres dont je lèche le coulis à l’aide de ma langue, mes yeux se fixant résolument dans ceux de mon amant. Ce n’est que lorsque je suis certain d’avoir toute son attention que j’arrête mon geste, me glissant à nouveau derrière lui sans le lâcher du regard. Ma main libre glisse dans ses cheveux, les accroche avec envie pour le forcer à pencher la tête en arrière. Il suffit de ça, cette seule vision de lui à ma merci pour quelques secondes pour que le feu gronde à nouveau dans mon pantalon. Et cette fois, je refuse de l’ignorer. J’apporte le fruit jusqu’à ses lèvres, impatient qu’il y goûte, comme hypnotisé par cette vision. Ses dents percent le fruit, provoquant le jus dévalant sa joue jusqu’à son cou. Un délicieux frisson s’empare de mon corps, je suis incapable de résister à l’envie de recueillir le liquide à l’aide de ma langue. Le goût de sa peau mélangée à la fraise est irrésistible, trop pour que je n’ai pas envie de plus. Beaucoup plus. Mes crocs apparaissent, percent sa chair en un éclair. Je soupire contre sa peau, laissant son sang envahir ma bouche alors que mes yeux se ferment sous l’intensité du sentiment animal qui a pris possession de mon corps. Je te veux. Maintenant.

Mon visage doit trahir ma surprise lorsque je le vois revenir avec un bol de fraise et un bol de chocolat fondu. Des fruits simplement déposés dans une coupelle, après les deux assiettes savamment travaillées et présentées servis auparavant ? Az s’explique et mes sourcils se réhaussent d’autant tandis qu’un sourire amusé commence à poindre sur mes lèvres. A mon avis, ce n’était pas tant pour me faire plaisir, mais plutôt pour répondre à une délicieuse envie de sa part. Et ça se confirme, alors que mon amant dépose ses récipients sur la table, qu’il trempe une fraise dans le chocolat à l'aide de ses longs doigts blancs, et qu’il porte le fruit jusqu’à sa bouche. La courbe de mon sourire faiblie devant l’intensité de la vision qui me prend de court. L’air s’emmêle dans ma gorge. Mes yeux se fixent sur sa langue glissant lascivement contre le chocolat.

- Je … Euh, oui … C’est vrai …

Je crois qu'une fois encore j’oublie de trouver quelque chose à répondre. Les braises en latence dans le creux de mon ventre s’enflamment subitement en un véritable brasier. Putain. Mon désir se tend dans mon jeans, au même titre que mon poing qui se serre autour de ma serviette. Je n’ai pas le temps de céder à mes instincts les plus basiques. La main d’Az est déjà sur moi. Une passion dévorante me noue le cœur alors que je me laisse enfermer dans son emprise. Il tire mes cheveux en arrière. Mon cou se dévoile alors que mon rythme cardiaque s’accélère. Un soupir fiévreux meurt au fond de mon buste. Je retrouve les yeux de mon amant au-dessus de moi, et la ferveur que j’y trouve m’empêche d’exhaler la pression retenue dans mes poumons. Putain, Az. La fraise se présente devant mes lèvres. Mon organe vital bondit d’autant plus fort dans mon torse. C’est là. C’est maintenant que tout dérape. A l’instant où mes dents se referment sur le fruit défendu, il n’y a plus de diner romantique. Il n’y a plus que deux vampires. Deux vampires, et une décadence dangereuse.

La saveur de la fraise retentit sur mes papilles. Sa langue caresse ma peau. Un gémissement beaucoup trop implorant pour m’appartenir s’échappe pourtant de mes lèvres. L’odeur d’Az me sature l’odorat. Son aura écrasante me projette à nouveau dans un état grisant. Enfin ses crocs percent ma gorge. Le parfum du sang éclate dans l’air. L’euphorie exaltante de la morsure jaillit dans mon corps. Je crois que mes paupières se baissent d’elles-mêmes alors que je me laisse aller contre le contact à la fois tendre et carnassier de sa bouche. Ma poigne se referme sur ce que je trouve devant moi. Le bois de la table finit par craquer sous la force surhumaine de ma prise. Je n’y prête même pas attention. Mes doigts libres s'enfoncent dans les cheveux de mon amant. Je m’égare entre ses mèches folles, incapable de faire quoi que ce soit de plus, jusqu’à ce que ses canines me libèrent.

Et lorsqu’enfin c’est le cas, lorsque sa soif me relâche et que sa langue traine encore un peu sur la plaie ouverte, je mets de longues secondes à recouvrer mes idées. Les conséquences de la morsure me grillent l’esprit, mais mon corps n’a pas oublié ce qu’il a à réclamer. Je nage encore dans un brouillard extatique, et je crois même que je ne suis plus réellement maître de l’animal qui a pris possession de mon être, quand mes jambes s’animent maladroitement. J’échappe à l’emprise d’Az pour mieux me remettre sur pieds. Ma chaise tombe dans la manœuvre. La table sursaute sur le côté lorsque je la percute sans réellement m’en rendre compte. Je lui fais face, mes doigts agrippant déjà le tissu pourpre de sa chemise.

- Embrasse-moi, gronde le timbre rauque et grave qui glisse entre mes mâchoires serrées.

Mais ce n’est pas comme si je compte lui laisser le choix. Ma bouche s’abat brutalement contre la sienne. Nos dents s’entrechoquent alors que je force d’emblée la barrière de ses lèvres. Le goût de mon sang vient chatouiller mon palais. Je gronde contre lui, impatient et insatisfait, alors que ma main libre s’enfonce de nouveau dans ses cheveux. Mon bassin se calque contre le sien, dur et brûlant. Ma langue vient provoquer la sienne. Avide. Sauvage. Et enfin totalement incontrôlable.