" Un whisky coca s'il te plait ! "

Sans même répondre au client qui vient de me passer commande, je m'active déjà à la préparer, mon regard parcourant la foule devant moi. Il y a du monde ce soir, beaucoup de monde. L'ambiance est délirante, mes gestes automatiques en servant les boissons les unes après les autres, un léger sourire aux lèvres, mon corps en accord avec la musique. J'aime cette effervescence, les jeunes cherchant une fois de plus à oublier leurs vies et leurs problèmes en venant ici. Au fil des années, des siècles même, ça avait toujours été ainsi, cette recherche perpétuelle de liberté, juste pour quelques heures. Et au final il n'y avait que les vêtements, la danse et la musique qui changeaient. Et cette ambiance sulfureuse était idéale pour trouver une proie à se mettre sous la dent.

Et il y avait le choix, c'était le moins qu'on puisse dire. Mon regard détaillait chaque proie potentielle avec attention. La plupart étaient malheureusement déjà bien trop éméchées pour que j'en tire une quelconque satisfaction. Et oui, je pouvais largement me permettre de faire mon difficile et c'est ce que je faisais sans le moindre remords. Oh bien entendu, il y avait aussi ceux qui pensaient avoir une chance, avec leurs oeillades appuyées et leur sourires d'enfer tellement flatteur. Mais non, rien ne me convenait vraiment jusqu'à... Lui.

Mes yeux s'accrochèrent à lui lorsqu'il tenta de se frayer un chemin jusqu'au bar, s'étalant presque dessus pour arriver à ses fins. Lui était intéressant. Un petit chat sauvage à la dégaine de rebelle, un air espiègle sur le visage comme une seconde peau. Un nez droit, un regard perçant, une mâchoire à croquer, une belle gueule semblant en vouloir au monde entier encadrée par des cheveux savamment décoiffés. Bingo. Je m'arrête dans mes mouvements, me poste devant lui, les mains sur le comptoir, attendant qu'il se décide à passer commande.

Enfin, ce regard si séduisant s'est aperçu de ma présence. Sa réaction ne se fait pas attendre. La bouche entre ouverte, le pauvre semble avoir vu un fantôme. Ou un vampire dans mon cas. Je l'observe, passe en revue chacune de ses réactions, aussi infime soit-elle. Et en le voyant déglutir, je sais déjà que la partie est gagnée d'avance.

Je lui rends son sourire tandis qu'il semble reprendre vie d'un coup. Ce sera donc un Sazerac pour le jeune homme. Mes yeux ne quittent pas les siens, pas même une fraction de seconde alors que mes gestes s'activent pour lui préparer sa boisson après avoir récupéré son verre entre ses doigts. Aussitôt demandé, aussitôt servi ! En un coup, le verre est rempli, la touche de couleur est ajoutée et voilà le cocktail prêt à être goûté. Et j'avais déjà hâte de le voir faire juste sous mes yeux, de pouvoir me délecter de la seule vue de sa bouche se glissant sur le verre et de son cou tendu par l'effort, dévoilant sa jugulaire. Un vrai plaisir pour les yeux.

" S'il te plait. A savourer sans modération. "

Un frôlement au niveau de mes doigts, et le verre a disparu. Il y a quelque chose qui s’ébranle au fond de moi lorsqu’il me rend mon sourire. Quelque chose que je n’arrive pas très bien à identifier. C’est infime, mais c’est bien là. Et ça m’a l’air plus grisant encore que l’alcool qui se déverse dans mes veines.

Par une sorte de miracle tombée du ciel, je parviens enfin à me défaire de l’emprise déstabilisante de son regard. Mes yeux se baissent sur ses mains blanches, dont les gestes s'avèrent tout aussi fascinants. Ses mouvements sont fluides et précis au millimètre près dans la concoction du cocktail. Je fixe ses doigts longs et fins faire leur œuvre sans pouvoir m'en empêcher.

Qu’est-ce que ça te ferait d’être touché par ces mains-là, Nev ?

L’étincelle crépite de plus belle dans le creux de mon ventre. Ma langue s’assèche de nouveau, mais cette fois je me fais violence pour ne pas déglutir. Merde, il faut vraiment que je m’hydrate.

Pourtant le barman ne traîne pas à la tâche. Et ce faisant, ses yeux ne m’ont toujours pas quitté. Je le sais, je le sens. Le poids de ses prunelles se fait ressentir par une multitude de picotements à la base de ma nuque. T’es défoncé mec. Faut que t’arrête d’emprunter de quoi fumer aux inconnus à la sortie des bars. C’est sûrement bourrés de saloperies qui te montent au crâne. Le verre réapparaît soudain comme par magie devant moi, rempli de mon eau quotidienne. Une caresse imaginaire fait tressaillir mon échine lorsque je viens poser mes doigts sur le verre glacé, à l’endroit exact où se trouvaient ceux du barman une fraction de secondes plus tôt.

Mon attention remonte vers son visage et accroche à nouveau son regard qui, fidèle à lui-même, ne m’a toujours pas lâché d’une miette. Mes yeux se plissent légèrement alors que je me demande franchement ce que ce gars a derrière la tête.

- Merci. Compte sur moi.

J’enfonce ma main dans la poche de mon jean pour en tirer de quoi payer ma commande. J’abandonne l’argent sur le comptoir sans même y jeter un œil, trop accaparé que je suis à soutenir ses iris impudiques. Et puis soudain, une once de déception me pince les entrailles lorsque je me rends compte qu’il va encaisser le billet et qu’il va juste disparaître. Reprendre son job jusqu’à la fin de la nuit, comme si de rien n’était. Est-ce qu’il dévisage vraiment tous ses clients de cette manière ? Je sens mon rythme cardiaque s’accélérer alors que je m’applique à faire comme si de rien n’était, avant de balancer la première chose qui me vient à l’esprit pour le retenir là. Juste encore un peu.

- Tu fumes ? Je t’offre une cigarette ?

C’est à mon tour de scruter avec avidité les traits de son visage. Mes doigts se resserrent autour du verre. Je le porte à mes lèvres et goûte une première gorgée d’alcool. Le Sazerac chasse la sécheresse de ma bouche, mais je n’en retiens pas la moindre saveur. Peut-être que j’ai les papilles grillées. Peut-être que le barman focalise trop mes idées chaotiques pour que j’y prête attention. Peut-être aussi que l’heure est trop avancée pour se poser ce genre de questions. Tout ce qui m’importe à présent, c’est le son qui s’échappera à nouveau de ses lèvres lorsqu’il les descellera pour me répondre.

Il m’a l’air déstabilisé à souhait le pauvre. Et ça m’amuse beaucoup, je ne peux que l’admettre. S’il n’a pas réussi à soutenir mon regard tandis que je préparais sa boisson, celui qu’il me lance maintenant en vaut la chandelle, appuyant mon sourire sur mes lèvres. A croire qu’il se demande à quoi je joues, ce que j’ai dans la tête à l’observer ainsi, sans l’avoir lâché des yeux une seule seconde. Et c’est précisément lorsque sa main part dans sa poche que je m’accorde un peu de répit, quittant son visage pour venir essuyer la trace qu’à laissé son verre sur le bar à l’aide du torchon posé sur mon épaule, attendant patiemment son paiement. Juste à temps, son argent atterri avec fracas sur le support maintenant propre, faisant étirer mon sourire, amusé. A t’il conscience de tout le fric qu’il vient de sortir ? Non, visiblement pas. Mes doigts attrapent le billet, au moment même où les battements de son coeur s’accélèrent à mon oreille. Je relève les yeux sur lui, plongeant dans les siens une nouvelle fois. C’est trop facile.

Néanmoins, je ne réponds pas tout de suite à sa proposition. Au contraire, je me laisse le temps de quelques secondes de fausse réflexion, le laissant goûter son cocktail en semblant sagement attendre ma réponse. Mon regard fixe ses lèvres avalant le liquide, glisse sur sa machoire en mouvement pour finir sa course dans son cou que j’ai déjà envie de batiser de mes dents. Je ne sais pas ce qui me fait le plus envie, goûter sa peau semblant délicieusement tendre ou y planter mes crocs pour en savourer le sang bouillonnant piégé en dessous. Sans doute un savant mélange des deux. Son rythme cardiaque est un vrai plaisir à écouter, semblant perdu entre l’alcool et la situation qui le déstabilise grandement. Tout son corps semble tendu malgré tout ce qu’il semble déjà avoir ingurgité. S’en est d’autant plus amusant. Alors, enfin, mes lèvres s’ouvrent à nouveau, lentement, pour faire durer le plaisir.

« Dans cinq minutes. Attends moi au bout du bar. »

J’ai à peine fini ma phrase que mon regard le quitte définitivement, brisant le moment pour reprendre mon travail là où je l’ai laissé, adressant mon attention à un autre client. Il attendra bien cinq minutes le chat sauvage, le temps que le monde autour du bar se désemplisse un peu. J’ai beau avoir déjà très envie de passer à table, je m’en voudrais de laisser mes collègues dans une telle merde pour m’éclipser, ne serait-ce que quelques minutes. Et puis, c’est tellement bon de se faire désirer.

Il prend son temps pour répondre. Le verre claque peut-être un peu trop fort contre le plan de travail lorsque mon bras retombe. Mes paupières se ferment un instant. L’alcool me réchauffe à nouveau l’estomac. Je retrouve cette sensation qui me plaît tant mais qui, ce soir, ne m’apparaît plus suffisante. L’argent a disparu et avec, bientôt, l’aura saisissante du barman. Il parle. Me lâche quelques mots qui m’électrisent d’abord lorsque je comprends qu’il n’a pas dit « non ». Puis qui me crispent lorsque je comprends qu’il m’a jeté dans le néant de l’oubli le temps de régler ses petites affaires.

Attendre au bout du bar.

J’ai franchement la gueule d’un mec qui attend au bout du bar ? La réflexion flotte deux ou trois secondes dans mon esprit embrumé. Elle m’arrache finalement un rictus en coin sarcastique et désabusé. L’homme a déjà disparu. Je ne cherche même pas à fouiller les abords du comptoir pour essayer de le retrouver. Ce serait complètement con.

Ses indications tournent encore dans ma tête. Dans cinq minutes, hein ? Je me détourne du bar pour faire face à la salle gorgée de décadence, de soupirs et d'énergie. Quelques pas m’éloignent du flot d’ivrognes oppressant qui stagne autour du comptoir. Les lueurs fluorescentes qui scintillent dans l’obscurité empreinte de luxure passent comme des trainées floues dans mon champ de vision. Pris d’une pulsion soudain, je lève mon verre et finis le cocktail d’une traite. Mes yeux se grillent la rétine sur la lumière bleu électrique de mon propre bracelet phosphorescent. Je reprends vivement ma respiration une fois le récipient vidé.

Ça ne suffit pas. J’ai besoin d’air. J’ai besoin de tabac pour m’étouffer les poumons. Cinq minutes, mon cul ouais. J’ai perdu mon verre quelque part en route lorsque je parviens à la porte près du bar. J’ai vaguement essayé d’atteindre une table pour l’y déposer. Mais peut-être bien qu’il a fini en miettes contre le sol finalement.

Je m’enfuis au dehors et débouche au cœur d’un brouillard de nicotine. Le froid mordant de la nuit me saisit brusquement. Ça m’aide à rassembler mes esprits. J’inspire longuement. Le trottoir devant la boîte de nuit est parsemé de quelques fumeurs discutant discrètement dans le silence précieux de l’heure tardive. Mes baskets trainent sur le pavé alors que je m’éloigne vers un pan de mur délaissé. Je laisse mon dos venir s’y appuyer sans la moindre délicatesse. Mes doigts filent déjà chercher une clope dans mes poches. Mes yeux, eux, lorgnent irrémédiablement la sortie de la boîte. Est-ce qu’il va se montrer ? Ou est-ce qu’il a déjà complètement oublié le client insignifiant que je suis ?

Une vieille rancœur revient me serrer la poitrine comme une sale habitude. Je glisse une cigarette entre mes lèvres et lève le briquet devant mon visage. Et puis merde, qu’est-ce que j’en ai à foutre.

La flamme jaillit. La nicotine s’embrase. Et l’air néfaste s’engouffre dans mon être. Quelque chose change durant cette fraction de seconde. Lorsque je relève les yeux devant moi, une silhouette masculine me fait face. La surprise me coupe l'herbe sous les pieds. La fumée s'accumule douloureusement dans ma gorge. Je la recrache brusquement en manquant de m'étouffer pour de bon.

- Putain ... !

L'infernal sourire en coin du barman apparaît à la lueur de ma clope. Je lui lance un regard ahuris. La vision est irréelle. Comment a-t-il pu surgir de nulle part ?

Mes gestes sont amples et appliqués alors que je m'active a concocter les boissons demandées. Mon sourire lui, ne se décolle pas de mes lèvres, incapable que je suis de penser a autre chose qu'à ma proie qui m'attends sagement à quelques mètres à peine. En théorie. En pratique, c'est lorsque mon regard explore le bar que je réalise qu'il s'est volatilisé.

Légèrement frustré mais loin de lâcher l'affaire, je me glisse jusqu'à un de mes collègues pour le prévenir que je prends ma pause, m'emparant rapidement de ma veste en cuir, direction la sortie. Avec un peu de chance, il a juste pris de l'avance. Et c'est bien le cas. En une fraction de seconde, je me retrouve devant lui tandis qu'il s'allume une clope. Je le détaille rapidement sous la pénombre qui nous entoure. Il est définitivement  craquant. Encore plus avec cette cigarette glisée entre ses lèvres. Amusé, je ne peux m'empêcher de sourire en guettant sa réaction.

Enfin, son regard se porte sur moi. Il réalise ma présence, s'étouffant totalement avec sa cigarette alors que je retiens difficilement mon rire.

" Pardon ! Je ne voulais pas te faire peur !"

Je lui offrais mon plus beau sourire. Une de mes mains s'éleva jusqu'à son visage, venant lui arracher le bâtonnet de nicotine de ses lèvres pour le mettre entre les miennes, tirant dessus sans la moindre gêne, laissant la fumée s'échapper avec mes mots.

" Tu ne devais pas m'attendre au bar ? "

Ils sont bleus. Ses yeux. Loin des lumières d’ambiance, je peux enfin en voir la couleur. Et ils pétillent d’une manière qui laisse mon intérêt piqué à vif. Un bref éclat de rire s’échappe de sa gorge. Il se paye gentiment ma gueule. Le son me fait l’effet d’une averse glacée sur ma nuque. C’est loin d’être désagréable, mais je ne suis pas encore certain de vouloir que ça me plaise. Je me sens con, parce que je ne trouve rien à lui rétorquer sur le moment. Pourtant, maintenant qu’il n’y a plus le moindre comptoir qui nous sépare, il n’a plus l’air aussi inaccessible qu’avant. Le truc qu’il dégage, ça, par contre, ça n’a pas bougé d’un poil. La fraicheur du soir m’aide à garder les pieds sur terre. Mais il a ce quelque chose de particulièrement intense et attrayant qui fait que je ne pourrais décemment pas l’envoyer chier tant que je n’y aurais pas goûté.

J’ai clairement envie de ce type. Il joue avec mes nerfs, autant avec ses coups d’œil mordant qu’avec ses manières agaçantes. Le bâton de nicotine disparaît de mes lèvres pour se retrouver entre les siennes. Mon attention s’attarde sur cette vision, avant que je ne le détaille, lui, tout entier. Ses mèches ambrées agitées brièvement par la brise nocturne. Sa posture droite et l’aisance qui coule en lui. Ses doigts fins qui retirent la cigarette de sa bouche d’un geste fluide et automatique. Son corps svelte et élancé enfermé sous une veste en cuir.

Je ne suis pas certain du prochain geste que je pourrais avoir. Je suis incapable de le cerner. C’est sûrement ce qui fait une part du mystère qui l’enveloppe. Sa question ne me laisse toutefois plus le temps de m’interroger. Je me renfrogne quelque peu et détourne les yeux. Cette histoire de bar qui revient sur le tapis.

- Ouais. Ben ça faisait plus de cinq minutes.

Mon regard traîne brièvement sur la rue déserte avant de revenir se planter abruptement dans le sien. Une brise de défi souffle entre nous. Il n’y avait pas la moindre animosité dans son interrogation, ni le moindre reproche. Ni dans ses yeux, ni dans son comportement. Je n’ai strictement pas la moindre idée du temps qui s’est écoulé entre ma commande d’alcool et ma clope. Ce n’est pas comme si j’avais l’intention de jouer la carte de la bonne foi. Il voulait que je l’attende. Et moi je voulais aller fumer. L’un de nous devait forcément se retrouver insatisfait.

Parler me permet de retrouver la capacité de bouger. Je récupère mon paquet de cigarettes pour m’en allumer une nouvelle, lui abandonnant celle que je lui ai promis et qu’il est venu chercher par lui-même. Finalement, mon corps réussit à se détendre, malgré ce désir omniprésent qui me noue la gorge. Mes yeux se font moins arrogants alors que je m’applique à inscrire dans le flou de ma mémoire les moindres détails de son expression facial que j’aperçois à travers le voile de nos fumés toxiques se mélangeant. Je n’arrive décidément pas à saisir ce qui me dévore le plus chez lui. Ça s’accentue plus encore lorsqu’il sourit vraiment, et ça se répercute dans le fond de ses pupilles. Un bref instant, j’en oublie même de respirer.

- T’as combien de temps devant toi avant de devoir y retourner ?

Ma question fait mouche, il détourne ses jolis yeux pour les poser au sol, loin de mon faciès. Ma réflexion le dérange, tout dans son comportement le prouve mais, ça ne l’empêche pas de me répondre quand même, non sans un certain agacement dans la voix, étirant un peu mon sourire sur mes lèvres qui accueille à nouveau la cigarette. Tout dans son attitude me fait craquer, m’amuse au plus haut point. Il a l’air d’un gars plutôt sur de lui mais semble tendu par ma seule présence. Son coeur bat toujours aussi vite, m’offrant une douce mélodie à mon oreille alors que mes yeux s’attardent plus intensément sur lui, détaille ce qu’il y a voir. Je ne sais pas ce qui me fait le plus d’effet. Le regard abrupte qu’il arbore, cerné de longs cils noirs, le rendant encore plus intense que le défi qui y brule tel un feu que personne n’arriverait à éteindre, sa dégaine de badguy, sa machoire bordée d’une barbe très légère ou sa peau tachée de grains de beauté. Le tout lui donne un charme diablement attirant. Trop pour que je tente de résister. Et de toute façon c’est bien pour ça que nous sommes là tous les deux non ? Pour céder à la tentation de ce premier regard échangé au bar.

Alors quand sa question fuse, mes yeux ne décrochent plus des siens, tirant une fois de plus sur cette cigarette que je lui ai volée.

« Une vingtaine de minutes. »

Ce qui est suffisant si on ne perd pas de temps. Alors, après avoir fixé ses lèvres et avoir mordu les miennes avec envie, j’approche sans hésitation, venant coller ma bouche sur la sienne. Rien de plus qu’un avant-goût de ce qui l’attends dans cinq minutes lorsque nous serons de retour à l’intérieur de l’établissement. Ma main libre s’est déjà frayée un chemin jusqu’à son cou pour l’attirer à moi, le bout de mes doigts frôlant la naissance de ses cheveux dans sa nuque. Et ses lèvres, même si elles goûtent sévèrement l’alcool, se marie presque trop parfaitement aux miennes, me donnant envie de les lui mordre, d’en avoir beaucoup plus. Je me risque à glisser ma langue à la recherche de sa jumelle, juste pour y goûter furtivement, avant d’enfin le relâcher. Mes yeux cherchent les siens, restant proche de son visage, laissant un fin sourire prendre place sur le mien.

« Viens. »

Et cette fois, il n’a aucune raison d’échapper à mon ordre. Ma main se glisse à la recherche de la sienne alors que je fais voler le reste de ma cigarette sur le pavé, non sans avoir pris une dernière bouffée au passage. Le temps d’expirer la fumée, la chaleur étouffante de l’intérieur de la boite nous enveloppe déjà. Je sais où je vais, direction les toilettes. J’ai beaucoup trop faim de lui pour faire dans la dentelle. Et je manque de temps, aussi, ça n’aide pas. Par chance, la cabine la plus grande est déserte. J’ignore royalement les gémissements de plaisir sortant des autres pour inviter mon beau brun à l’intérieur, le plaquant contre la paroi la plus proche sans la moindre délicatesse. Il n’était rien qu’à moi, pour au moins quelques minutes.

La tension qui boue dans mes veines me semble si électrique qu’elle pourrait finir par m’écorcher la peau. Mes yeux toujours plantés dans les siens, je ne peux m’empêcher de déglutir à nouveau. Mais cette fois, ça n’a rien d’un réflex déstabilisé. C’est comme une sourde appréhension chargée d’impatience et de frustration. Le timbre de sa voix résonne encore dans mon oreille lorsque quelque chose d’imperceptible change dans le fond de son regard. Mais je comprends trop tard ce qu’il s’apprête à faire. Je n’ai que le temps de laisser ma cigarette tomber à mes pieds que sa bouche est venue percuter la mienne d’une ardeur bouillonnante. Je n’ai pas eu le temps de bouger. Pas eu le temps d’anticiper et de porter moi-même le premier coup. Son corps se calque contre le mien. Ses doigts s’invitent contre ma nuque. Et moi je m’embrase dans un vent d’alcool et de désir. Le feu me paralyse de l’intérieur. Me laissant pantois entre la volonté de ses mains qui m’auraient empêcher de reculer si je l’avais voulu et de sa langue qui me coupe le souffle en venant taquiner la mienne. Le brasier me consume, explose dans mon bas-ventre qui n’en a pas attendu moins pour répondre à la proximité du sien.  

Et enfin – déjà – il me permet de respirer. La couleur céruléenne de ses yeux revient me narguer encore une fois. Putain. Avec une telle intensité dans le regard, ce type n’a vraiment pas intérêt à être un mauvais coup. Ses doigts viennent chercher les miens alors que son invitation tourbillonne dans mon esprit essoufflé. Je réponds furieusement à son contact en les serrant vivement entre les miens. Mes jambes lui ont déjà emboîté le pas, avant même que je ne pense à me poser la moindre question. Le barman m’entraîne avec lui, et je le suis en imaginant déjà le touché délicieux de sa peau cachée sous ses fringues.

La musique de l’intérieur tonne sous mon crâne comme un brouhaha lointain et incompréhensible. Il n’y a plus que l’homme qui m’accompagne qui compte. Lui et ce besoin saisissant qu’il a provoqué dans mon pantalon. Je ne quitte pas sa nuque des yeux. Impossible qu’il se volatilise cette fois. Il me guide à travers la foule. L’exaltation de la salle ne m’atteint plus. Il n’y a plus que sa chaleur à lui que je perçois.

Avant que je ne me demande où il nous emmène, la porte des toilettes s’ouvre brusquement sur notre passage. Elle claque durement contre le mur avant de se refermer d’elle-même. Mon beau blond au regard agaçant ne s’y intéresse même pas, trop occupé qu’il est à me pousser dans la première cabine disponible. L’endroit est sale, étroit, et saturé d’une odeur de sexe. Mon dos heurte la paroi recouverte de graffitis alors que ses lèvres m’offrent à nouveau leur contact enivrant. Je gémis contre lui, déchiré entre la présence abrupte de la paroi derrière moi et l’avidité dévorante que me transmet sa bouche. Mes mains se lèvent jusqu’à sa mâchoire. J’attrape son visage et réponds violemment à son baiser. Emporté dans mon élan, je le repousse contre le mur d’en face, l’y plaquant à son tour sans aucune délicatesse. Mes lèvres dévorent les siennes tandis que mon corps se presse contre le sien.

- Putain …

Les mots se sont envolés dans un souffle fébrile. Mes doigts retombent impatiemment sur son buste jusqu’à son bassin. Ils se tordent dans la boucle de sa ceinture alors que je m’attaque à son pantalon sans aucune forme d’introduction. Mes yeux retrouvent les siens lorsque j’arrache presque le bouton de son vêtement. La pression de l’air s’accentue et je le défi en silence. Tu serais incapable de m’arrêter.

Nos lèvres s’accrochent, avide d’en avoir toujours plus alors que nos corps se collent l’un à l’autre. Son gémissement ne fait que faire grimper l’excitation déjà bien présente dans mon bas-ventre. Tout en lui m’allume furieusement, me donne envie de le bouffer dans tous les sens du terme. Je me consume alors que ses mains froides s’invitent sur mon visage, me provoquant de délicieux frissons, contrastant avec la chaleur écrasante de l’endroit où nous nous sommes enfermés. Je ne peux m’empêcher de sourire contre ses lèvres alors qu’il me repousse à mon tour, laissant mon dos s’abattre contre le mur avec force. Il est pressé, brûlant de désir au moins autant que moi. Nos corps se cherchent inlassablement, mes mains tentent déjà de trouver leur chemin sous son t-shirt, découvrant sa peau que mes doigts marquent avec envie alors qu’il s’attaque déjà à mon jeans, arrachant presque la fermeture. Enfin, il me laisse respirer, juste le temps de m’envoyer son regard chargé de défi. Oh non, ne me regarde pas comme ça, c’est bien trop tentant.

Je mords ma lèvre avec force. Il est bien trop irrésistible à mon goût. Je frémis en sentant la pression de mes crocs se faire de plus en plus présente dans ma bouche. Je suis incapable de résister plus longtemps à l’appel de son sang que je sens bouillir sous mes doigts. Ma main s’abat sur son torse, je le repousse avec autorité pour mieux le plaquer à nouveau contre le mur d’en face. Mon regard le dévore, mon souffle se fait de plus en plus court alors que ma bouche entre ouverte en réclame encore, cherchant mon air le temps de calmer mes ardeurs. J’approche à nouveau, fondant mon regard dans le sien avec intensité à quelques centimètres à peine de son visage.

« Je vais te mordre. Et tu vas adorer ça. »

J’ai susurrer mes mots de ma voix rauque de désir, satisfait de voir ses iris réagir à mon ordre. Il n’avait pas le choix, il était déjà entièrement sous mon contrôle. Une fois assuré de mon hypnose, ma bouche approcha son cou avec lenteur, mes crocs apparurent à la seconde même où je touchais sa jugulaire, plantant mes dents dans sa chair en soupirant de bien être. Le sang jaillit dans ma bouche alors que je soupirais de plaisir. Je voulais juste le goûter, retrouver ce goût tellement entêtant me coulant dans la gorge. L’une de mes mains agrippa ses cheveux alors que l’autre fit sauter l’ouverture de son pantalon avec aisance. Il était délicieux malgré l’alcool, absolument divin. Si bien que je dus faire un effort titanesque pour ne pas le vider sur place. S’aurait été tellement facile... Mais non, j’avais beaucoup trop envie de lui pour ça. Beaucoup trop.

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Il reprend l’ascendant lorsque mes épaules retournent s’appuyer de nouveau contre l’autre mur des toilettes. Son geste autoritaire réveille des élans fiévreux au plus profond de moi. J’ignore encore si j’aime ça autant que ça m’insupporte. Quoi qu’il en soit, ça accentue plus encore la pression qui grimpe dans mon corps. Mes lèvres me brûlent là où les siennes ont laissé leur marque. Mon cœur bat à tout rompre contre ma poitrine, alors que j’essaye de calmer ma respiration essoufflée. Le regard qu’il me lance, alors que le simple contact de ses doigts sur mon torse m’immobilise, est encore plus troublant qu’auparavant. Je m’y noie complètement, submergé par tous ces sentiments contradictoires et le désir brut qu’il m’inspire.

Sa voix gronde à nouveau à mes oreilles. Elle est grave cette fois, enrouée par la même fièvre qui me tort les reins. Ça m’électrise. Et pourtant, le sens de ses mots bloque dans mon esprit. Mes sourcils se froncent alors que l’incompréhension pointe sur mon visage.

Mais ses yeux sont là. Toujours plus intenses. Toujours plus … plus. Je crois que je perds le lien avec la réalité le temps d’un soupir. Sûrement la faute à ce dernier cocktail que j’ai avalé. Sa chaleur se rapproche et m’enveloppe. Sa bouche traîne dans mon cou comme une caresse remplie de promesses. Mes yeux roulent dans le vide avant que mes paupières ne se ferment complètement, cédant définitivement à cette force extérieure qui m’empêche de reprendre pied. Une douceur tantôt brûlante, tantôt glacée, se manifeste dans ma gorge. Je la sens se répandre d’une délicieuse lenteur dans mon corps. Je frémis. Violemment. Mes doigts s’agrippent durement à ses vêtements. J’adore ça.

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Et maintenant ? Retour à la réalité de ma vie humaine. Je n'ose même pas lui laisser mon numéro, même si ce n'est pas l'envie qui manque. Un coup comme ça, ce n'est pas tous les jours... Mais... Mais.

Son souffle chaud traîne encore un peu sur mon épaule, dans le sillage de sa bouche. Je frémis, encore réceptif à ses gestes. Sa poigne contre ma hanche se fait moins ferme, avant de disparaître. Sa main contre le mur rejoint bientôt le même mouvement, libérant la mienne de son emprise autoritaire. Essoufflé, je passe ma langue sur mes lèvres sèches. Peu à peu, mes idées troubles retrouvent un peu d’ordre. Et ce faisant, l’environnement se redessine tout autour. Je perçois de nouveau le rythme sourd de la musique dans les dalles du sol. Des gémissements féminins s’échappent d’une autre cabine à l’autre bout de la pièce. Un robinet mal refermé goutte bruyamment contre un lavabo.

Enfin sa présence s’éloigne. Je reste vide, atteins d’une asthénie grisante, gavé de dopamine et d’endorphine. Mon front se relève avant que je ne me retourne. Mes épaules retournent s’appuyer sans délicatesse contre le mur. Mon blond au coup de rein sauvage me regarde. Je le sais à cette même impression fugace qui picote contre ma nuque, comme tout à l’heure au bar. Je lui fais face, le torse encore agité par la frénésie lascive de ce dernier instant passé. Mes yeux s’arriment franchement aux siens. Quelques secondes flottent silencieusement dans l’air, avant qu’un sourire narquois et complice ne vienne finalement éclairer mes joues.

Tu peux continuer à me lancer ces regards incandescents, si t’assure toujours derrière.

Je tends le bras pour récupérer du papier toilette et m’essuyer les mains. Une douleur sensible et piquante s’éveille au creux de mon cou lorsque je tourne la tête pour balancer mes déchets dans la cuvette crasseuse. Mes sourcils tressaillent. Mes doigts viennent toucher la zone sensible. Un voile floue tombe sur mon esprit à ce moment précis. Je secoue la tête pour chasser cette sensation étourdie.

Ce détail me sort de l’esprit avec une facilité déconcertante. Tu verras ça plus tard, me souffle une voix lointaine. La fatigue se fait plus présente soudain. Je me baisse pour remonter mon pantalon. Je prends le temps de me rhabiller sans que mon amant de cette nuit n’ait bougé. Ma paume s’abat sur le loquet de la porte. Mon être se fige un instant, alors que mes yeux retrouvent l’azur percutant de ses prunelles. Quelque chose me fait hésiter. Quelque chose qui me retient, là, au fond de son regard. Et puis finalement la porte s’ouvre sur mon passage. Le lien éphémère qui nous unit se brise. Je lui tourne le dos et quitte la cabine, emportant comme un voleur le plaisir qu’il m’a procuré. Je me casse de là, dans un coup de vent, sans un mot.

Il est grand temps de rentrer.