Un vent protestataire souffle en moi. Il se fait une joie de refuser. Et vu la satisfaction qui transparaît sur ses traits, il l’aurait fait, qu’importe ce que j’aurais pu demander. Az s’éclipse avant que je n’aie le temps de protester. Je le regarde, yeux plissés, contourner la voiture pour rejoindre le siège conducteur. Non, sans déconner ? Il a vraiment cru que j’allais en rester là ? Loin de me démonter, je lui adresse néanmoins un faux sourire crispé lorsqu’il me fait comprendre que dans son monde à lui, tout se mérite. Ouais, j’ai saisi l’idée. Mon vieux vampire a décidé d’adapter les règles du jeu. Un ancien vestige de son passé de joueur compulsif peut-être ? Quoi qu’il en soit je ne suis pas totalement d’accord avec cette idée de récompense octroyée contre mes efforts. A ce que je sache, Az a pris son pied tout autant que moi dans cette affaire. La marque invisible et grondante de ses dents dans ma chair le prouve presque aussi bien que ce souvenir encore frais que je garde, de son soupir lascif et brûlant contre mon oreille, lorsqu’il s’est brutalement libéré en moi. Un angle plus railleur réhausse mes lèvres alors que je me dis que, définitivement, tout ceci n’est vraiment pas équitable.

Je me laisse tomber prestement sur le siège passager. Pour autant je ne prends pas la peine de refermer la portière. Je me penche vers le vampire, laissant libre court à cet élan provoquant et joueur qui file dans mes veines, et plonge mes yeux dans les profondeurs des siens.

- Tu sais ce qui mériterait aussi une gratification ?

J’observe son expression, peu décidé à avoir le moindre scrupule. Mon attention glisse délicieusement sur sa bouche.

- La fois où tu m’as mordu, lâché-je tout bas. Celle où ça a fait mal.

Je retrouve ses prunelles, déterminé à lui soutirer ce que je veux au moins autant qu’il est décidé à me le refuser. Un frisson incontrôlable remonte le long de mon échine, galvanisé par cette impression désormais familière de jouer avec le feu.

- C’était très douloureux. Et je ne me souviens pas avoir obtenu quoi que ce soit pour me « récompenser de mes efforts » …

J’insiste particulièrement sur mes derniers mots alors qu’un véritable sourire narquois apparaît pour de bon sur mon faciès. En réalité je ne garde que des souvenirs flous de cette nuit-là. Ma vision s’est altérée à partir du moment où le couteau a pénétré mon abdomen. Pour le reste, tout n’est qu’une foule de sensations aussi intenses qu’insaisissables. Il y a eu la peur froide, les yeux du vampire, l’odeur écœurante du sang, et la souffrance, marquante et traumatisante. Mon dos retrouve le confort du siège en cuir lorsque je me laisse repartir souplement au fond du siège. Je hausse les épaules, avant de le couver d’un regard malicieux et sans pitié.

- Mais … Peut-être que si tu me laisses conduire ta voiture …

Comme je m'y attendais, mon petit vampire ne lâche pas l'affaire. Au contraire même, il reprend la parole de plus belle en s'installant à mes côtés, me faisant plisser les yeux en posant mon regard sur lui. Comment osait-il ? Mes dents se serrent sur elles-même alors qu'un sourire jaune se trace sur mes lèvres, me rappelant d'un coup parfaitement cette nuit-là, où je l'ai trouvé dans cette ruelle morbide puant le sang et la crasse. Je quittais son regard pour poser le mien sur la route, décidé plus que jamais à ne pas lui accorder ce qu'il réclame. Ce mec n'avait décidément aucune reconnaissance.

" Tu devrais t'estimer heureux d'être encore en vie. C'est ça, ta récompense. Si tu ne l'estimes pas à sa juste valeur, c'est ton problème, pas le mien."

Je fis rugir la moteur en lui accordant enfin à nouveau mon regard.

" Ferme la portière tu veux, on rentre. "

J'attendais qu'il s'exécute en gardant mon calme, posant mes mains sur le volant. Une fois de plus, je me rendais compte à quel point Neven n'était pas le genre de gars à comprendre quand on lui refusait quelque chose. Et j'étais bien disposer à le lui faire comprendre moi-même, peu importe le temps que cela prendrais. Après tout nous avions toute l'éternité devant nous à présent.

Le regard qu’il affiche alors n’annonce rien de bon. Ce n’est pas sans me rappeler ce pli crispé et mécontent qui apparaît sur son front lorsqu’il est à deux doigts de se mettre en colère. Et ça ne manque pas. Il se détourne vers la route, le visage tendu, avant que sa voix froide et dure ne résonne dans l’habitacle. J’ai même l’impression de surprendre sa main se serrer brièvement contre le volant, pour contenir son agacement. Touché … Mais ce n’était pas l’effet que j’avais espéré, et ses mots autoritaires et moralisateurs me font franchement lever les yeux au ciel. Wow, super, on dirait mon père. Il ne manquait vraiment plus que ça. Je soupire bruyamment en laissant ma tête retomber contre le dossier.

- Oh, Az, sérieux … C’est quoi le problème ? C’est parce que je n’ai pas dit « s’il te plaît » ?

Je lui lance un regard aussi désœuvré qu’exaspéré. Sa réaction est tellement tranchante que je ne m’étonnerais pas de l’avoir provoquée pour un truc aussi stupide.

- Tu prends vraiment trop les choses au sérieux, mec.

Pourtant son injonction est sans appel. L’expression qu’il affiche ne laisse de toute évidence pas la moindre place à la discussion. Et de mon côté, je préférerais encore éviter de devoir rentrer à pieds. La douleur cuisante du soleil sur ma peau est encore vivement inscrite dans mes souvenirs. Trop pour que je prenne le risque de lui offrir l’opportunité de me laisser ici.

- Laisse tomber.

A bien y réfléchir, même moi je n’ai plus envie de lui adresser le moindre mot, quand bien même la frustration et la déception qui m’animent alors démangent ma langue. Je claque la portière sans plus chercher à parlementer. Mon coude se cale contre la fenêtre. J’enfonce mon menton contre la paume de ma main pour y appuyer ma tête négligemment. Mon regard court vers le décor forestier, bien déterminé m’enterrer dans un silence maussade. Et à le laisser ruminer tout seul, avec sa moralité à la con.