L’horizon commence doucement mais sûrement à prendre une agréable couleur rouge-orangée par-dessus les immeubles plongés dans la pénombre. Je tire un peu plus sur la capuche de ma veste pour la ramener sur mon front et presse vivement le pas sur le trottoir. Le matin se lève. Bientôt l’étreinte mortelle du soleil s’étirera dans le ciel. Si je suis encore dehors à ce moment-là … A cinq heures du matin, les rues commencent déjà à s’éveiller. Certains rentrent chez eux après une longue nuit alcoolisée en boîte de nuit, tandis que les plus sérieux circulent déjà sur la chaussée pour aller bosser. L’effervescente sous-jacente de la Nouvelle-Orléans sommeille encore un peu. Mais pas suffisamment pour me mettre assez en confiance et me permettre d’user de ma vitesse surnaturelle pour rentrer me mettre à l’abri. L’autre fois j’ai franchement manqué de percuter une grand-mère sagement plantée sous son abris-bus. Et puis de toute façon, l’appartement est juste là maintenant. Mes doigts glissent furtivement sur le boitier de l’entrée afin de déverrouiller la porte. Je sens la peau sur le dos de ma peau grésiller faiblement à l’instant où l’ouverture se débloque. Je m’engouffre à l’intérieur, rejoignant l’obscurité du bâtiment, échappant de peu à la caresse brûlante de l’astre céleste.

Un soupir soulagé m’échappe. C’était moins une. Mon escapade de cette nuit n’était pas censée s’éterniser à ce point. Dans mes projets initiaux, je devais même être rentré au bout de deux ou trois heures, bien avant le retour de mon colocataire.

De toute évidence, c’est foiré.

Les choses avaient déjà mal commencés avec mon réveil tardif. Az s’était déjà envolé depuis longtemps lorsque je me suis réveillé. J’ai passé de longues minutes à loucher sur la petite croix gravée au feutre sur ma main, à essayer de me remémorer dans quel but j’avais dessiné ce pense-bête sur ma peau. Et puis ça m’est revenu. Son anniversaire. A Az. Qui aurait cru ça, hein ? Mon vampire préféré prend un an de plus. Et il s’est bien gardé de me le dire. J’ai gratté l’info l’autre soir, en tombant sur sa carte d’identité dans la poche de son blouson alors que je voulais simplement lui emprunter vingt balles.

Alors aujourd’hui, j’étais déterminé à aller lui trouver un cadeau, histoire de marquer le coup et de me moquer gentiment de lui avec mes coutumes humaines. Cadeau que j’ai acheté plus tard que prévu, étant donné mon réveil tardif. La plupart des boutiques étant fermées la nuit, je me suis rabattu sur le petit trafiquant du coin. Ce type qui a l’oreille partout et qui pourrait vendre sa mère sur le marché noir sans en éprouver le moindre regret. Il suffit de lui demander de trouver quelque chose, n’importe quoi, et la livraison intervient dans les heures à venir. Je n’ai pas le moindre doute sur le fait que mon achat ait été acquis d’une manière tout à fait illégale. Tout comme j’ai conscience de l’avoir acheté bien moins cher que dans un véritable magasin. Ce qui reste salutaire pour mes maigres économies.

Le type m’a quand même lancé un regard désabusé avant de me lancer un « tu me prends pour un con ? » lorsque je lui ai soudainement demandé si, par hasard, il n’avait pas un peu de papier cadeau sur lui, après lui avoir délivré quelques billets froissés pour payer la transaction. J’ai dû faire le tour des épiceries nocturnes du coin pour trouver un emballage qui ferait l’affaire. Mon paquet n’a pas vraiment une jolie tronche. Et il risque d’être un peu abimé, maintenant qu’il est planqué dans la doublure de ma veste. Mais faut dire que j’ai été pressé par le temps, et par l’envie de ne pas finir en vampire carbonisé.

Mes pieds gravissent rapidement l’escalier silencieux de l’immeuble. J’anticipe déjà l’humeur d’Az, pour avoir trouvé l’appartement désert. Je grimace, entendant d’ici ses sermons d’inquiétude. Le soleil est en train de se lever et je n’ai même pas prévenu que le danger ambulant que je suis est parti faire un tour. Tant pis. La tête qu’il va tirer lorsque je vais lui brandir mon paquet coloré sous le nez en vaut sûrement la chandelle.

J’arrive enfin devant l’appartement. Ma paume s’abat d’emblée sur la poignée. Je rentre à l’intérieur. Son odeur saute aussitôt à la rencontre de mes narines. L’ombre d’un sourire se dessine sur mes lèvres.

- Hey je suis rentré ! Désolé du retard. Je t’ai manqué ?

La porte de la boite claque dans mon dos alors que met enfin le nez dehors. Le froid de la nuit m'accueil comme une bouffée d'oxygène vitale. Je ne supportais plus la chaleur écrasante de l'établissement dans mon dos. Je ne peux m'empêcher d'inspirer un grand coup, faisant rentrer l'air frais dans mes poumons. J'avais besoin de ça. Tout comme j'ai horriblement besoin de dormir. Et d'une clope. Avant toute autre chose. Mes doigts se perdent dans ma poche à la recherche de mon paquet par automatisme. Je grimace en découvrant que Neven m'a encore volé mes clopes, ne m'en laissant qu'une, juste pour la forme. Je grogne en la portant à mes lèvres, brûlant l'extrémité du bâtonnet en ayant une pensée pour mon cher coloc. Ça se payera. Même si ce n'était qu'un prétexte pour encore le posséder.

Je tire ma première taff en ne pouvant m'empêcher de sourire. J'ai hâte de retrouver sa bouille à celui là. Depuis cette soirée où il s'est confié à moi, je me sens de plus en plus proche de lui. Il me semble moins sur la défensive lorsque je lui réclame un peu de tendresse, moins à cran en général. Il souriait plus, aussi, même si c'était pour m'envoyer une raillerie à la gueule. C'était comme si cette soirée l'avait libéré du poids de son passé. Et je ne pouvais qu'être heureux en constatant l'effet sur lui en direct.

Ma main s'abati rapidement sur la poignée de la porte d'entrée. J'entrais dans le couloir en enlevant déjà ma veste, le sourire aux lèvres, la clope logée dans un coin.

" Je suis rentré !"

Je passais dans le salon sans attendre, prêt à le découvrir dans le canapé, jouant à la console, comme à son habitude. Mais non. Pas cette fois. Un royal silence m'accueilli pour toute réponse. Je fronçais les sourcils, sentant une pique de panique entraver ma gorge alors que je vérifiais qu'il n'était pas dans la chambre, ni dans la salle de bain. Mais où était-il passé ?

Néanmoins, m'installant dans le canapé, à la place qu'il occupait d'habitude, je tentais de me raisonner. Sans doute était-il sorti faire des courses. Il n'y avait pas d'autres explications. Sans un mot ? Je checkais mon portable, juste pour être sûr. Rien. Aucun message, le néant. Mon regard fut attiré par l'heure. Le jour n'allait vraiment pas tarder à se lever. Et si.. Et si il lui était arrivé quelque chose ? Et si il était piégé quelque part ? Et si il avait besoin de moi ?

Mon pied frappait le sol dans un signe de stress incontrôlable alors que mon regard se porta sur le reflet noir de la télévision. Calme toi Az, il est sans doute juste parti faire une course pour Marguerite. Sans aucun doute. Je n'avais qu'à l'attendre, et ne surtout pas lui envoyer de sms pour lui demander où est-ce qu'il pouvait être. Surtout pas.

J'allumais la télévision dans un réflexe. Rien de mieux que de mater un truc stupide pour perdre son cerveau et faire passer le temps plus vite n'est-ce pas ? Il est quelle heure déjà ?


Enfin, j'entends des pas dans l'escalier. Je suis sûr que c'est lui. Son odeur remonte jusqu'ici, sa démarche le trahi. Je me détends instantanément, un peu plus à chaque marche que je l'entends franchir. Enfin, il est de retour. Je me redresse dans le canapé, essayant d'oublier les battements de mon coeur un peu trop rapide dans ma poitrine. Mais où était-il bon sang ? Je penche la tête vers le couloir lorsqu'il passe enfin la porte. Son sourire invite le mien sur mon visage. Ouf. Il n'a rien. Il va bien.

" Un peu trop. Tu aurais pu prévenir, j'étais inquiet."

Je ne peux pas empêcher l'inquiétude résonnant dans ma voix. Néanmoins, je garde mon sourire, l'invitant du regard à venir me rejoindre en reprenant ma dernière cigarette dans le cendrier pour enfin apaiser totalement mes nerfs. Bordel. Cet homme aura ma mort.

Sa trogne blonde m’apparaît presque aussitôt depuis le couloir. Je surprends la courbe légèrement foncée de ses sourcils, un quart de seconde avant qu’un sourire ne vienne adoucir son visage. La légère tension qui perce encore dans sa voix achève de le trahir. Et voilà, du Az tout craché. Mon amusé grandit sur mes joues alors que je me retiens à peine de lever les yeux au ciel. D’un geste, je rejette en arrière la capuche qui camouflait ma tête des rayons du soleil. Je lourde mes chaussures dans l’entrée avant de le rejoindre prestement sur le canapé.

- J’ai tué personne, je te promets.

J’en ris, mais non sans une certaine nervosité. Au fur et à mesure des jours, la culpabilité d’avoir massacré les deux types qui m’ont laissé pour mort s’en est allée. Finalement le vampire en moi a pris le dessus sur ce genre de sentiment, pour mieux se ranger auprès de l’avis d’Az ; ces enfoirés n’ont eu que ce qu’ils méritaient. En revanche, à présent je sais ce dont je suis capable. Et mon colocataire aussi. Si je manque clairement de confiance en moi pour ce qui est de me contrôler si la situation dérape, le problème est tout autre en ce qui concerne l’inquiétude dévorante d’Az. Par moment, j’ai l’impression d’avoir à nouveau quinze ans et d’avoir ma mère sur le dos. Et, bordel, l’idée de coucher avec quelqu’un ayant pris le rôle de ma mère, ça me donne plus ou moins envie de sauter par la fenêtre.

- Mais je t’enverrai un courrier en recommandé pour te prévenir la prochaine fois ! Toi aussi tu m’as manqué.

Je ne peux pas m’empêcher de lui rembarrer une raillerie alors que je viens m’asseoir à côté de lui. Je lui adresse un nouveau sourire en coin avant de laisser mon attention planer quelques instants sur la télévision. Mon esprit butte sur l’émission qui se déroule sur l’écran. Az a vraiment essayé de trouver un programme intéressant à cette heure-ci ? Mon regard retombe sur lui. Je l’observe un moment, en train de fumer sa cigarette comme j’ai pu le voir faire une bonne centaine de fois. Etrangement, je ne m’en lasse pas. Je m’imprègne de cette image comme de son aura si particulière, qui m’apaise comme rien d’autre au monde. L’espace d’une fraction de seconde, je me dis que je préfèrerais être nulle part ailleurs qu’ici, à le regarder se griller les bronches.

Je crois qu’une once d’angoisse m’agite le cœur à l’idée d’aller jusqu’au bout de mon plan bancal. Après tout, qui me dit que les vampires fêtent leur anniversaire ? C’est peut-être tabou, un truc hyper sensible qu’il ne faut pas évoquer. Oh ferme ta gueule Nev. Je me tourne plus franchement vers lui, ramenant mes jambes en tailleur devant moi.

- J’avais une course urgente à faire...

Cette fois le sourire qui anime ma bouche est plus indécis. Ma main part fouiller à l’intérieur de mon blouson. Je tire mon précieux bien de la poche intérieure pour dévoiler au grand jour – enfin – le petit paquet légèrement froissé. L’emballage paraît quelque peu grossier, avec ses bouts de scotchs approximatifs et ses plis pas tout à fait droits. Je le lui tends, ignorant le sentiment fébrile qui chatouille mes doigts, tandis que mes yeux remontent vers son visage, curieux d’y découvrir tout ce qui va s’y refléter.

- Bon anniversaire, Az.

S’il déchire le papier cadeau et qu’il ouvre la petite boîte carrée contenue à l’intérieur, alors il découvrira le bijou que je n’aurais sûrement pas pu acheter dans un vrai magasin. Une chaîne aux reflets argentées, joliment disposée sur un fond de velours noir. Enfin, je ne me fais pas d’illusion. Pour l’avoir trimballée dans la poche de ma veste, il n’y a plus aucune chance pour que ça présente bien. Mais qu’importe. Le cadeau est là. Corné et maladroit. Fidèle à mon image quelque part.

Je roule des yeux à sa remarque. Et il trouve ça drôle en plus. Qu'il se moque si il veut, le fait qu'il avoue que je lui ai manqué fait raté un battement à mon coeur. Mon sourire réponds au sien, juste avant de reprendre une taff du poison entre mes doigts. Mon attention retourne comme un aimant vers la télévision. Mon pied à arrêté de marteler le sol. Je suis enfin à détendu, apaisé par sa présence et par son parfum naturel qui m'entoure. Il est rentré.

Nev récupère mon attention entière lorsqu'il s'agite à mes côtés pour mieux s'asseoir, avant de me parler de sa course urgente. Quelle course ? Mes iris suivent ses mouvements alors qu'il sort quelque chose de sa poche avant de me le tendre. Mais qu'est-ce que ?

Mes yeux s'agrandissent de surprise lorsque je percute ses paroles. Je reste scotché sur le cadeau un instant, puis relève les yeux vers son visage. Mon anniversaire ? Il m'offrait un cadeau d'anniversaire ? Mon coeur manqua un battement dans ma poitrine. Depuis quand est-ce qu'on ne m'avait pas offert un cadeau pour mon anniversaire humain ? Beaucoup trop longtemps. Mais le plus drôle était sans doute le fait que ce ne soit pas mon anniversaire, de ça j'étais certain.

" Mais... C'est pas mon anniversaire."

Incertain, mes doigts glissèrent à la rencontre des siens pour y récupérer le présent. L'emballage est bancal, froissé, à son image. Ça me fait sourire, donne un nouveau souffle chaud à mon organe vital. Neven qui m'offre un cadeau. J'le crois pas. Mon regard reste figé quelques secondes sur le paquet entre mes mains avant de revenir à nouveau à son visage. Je ne sais pas quoi dire. Je me retrouve totalement pris au dépourvu devant son regard attendant que je l'ouvre. Le mien doit briller d'une intensité toute particulière, à la hauteur des sentiments qui m'habite. Se rend-il seulement compte de ce qu'il fait ? De l'impact que ça peut avoir sur moi ? Non, je n'en ai pas l'impression. Enfin, mes lèvres bougent à nouveau.

" Merci. D'y avoir pensé. Même si c'est pas la bonne date. J'crois que ça fait bien cinq cent ans qu'on ne m'a pas fêté mon anniversaire humain..."

Un sourire presque timide étire mes lèvres. Je craque, glissant ma main libre dans son cou avant d'approcher ma bouche de la sienne pour l'embrasser avec tendresse. Avant même d'avoir découvert son cadeau, je veux qu'il comprenne à quel point son geste est important pour moi. Je veux qu'il sente à quel point il est important. À quel point mon cœur bat tellement fort dans ma poitrine qu'il menace d'exploser. Ce n'est qu'au bout de longues seconde que je me détache de lui à regret, à présent bien trop impatient de découvrir ce qui se cache dans cette boite. Je déchire le papier plus ou moins correctement, découvrant avec curiosité une petite boite noire. Je soulève le couvercle, laissant mes iris se poser sur le bijou qu'elle renferme. Une belle chaine argentée y est déposée. Mon sourire s'étale sur mon visage.

" Elle est magnifique..."

Mes doigts partent à la recherche du bijou pour le déloger de son écrin de velours noir. C'est beau, vraiment. Ça me fait penser aux chaînes qu'il porte au cou lui aussi. J'ai à peine attrapé le précieux bijou du bout des doigts qu'il me brûle sévèrement la peau, me faisant le relâcher sous la surprise en grognant ma douleur.

" Aouch ! "

Mes sourcils se fronçent sur mon front avant que je ne réalise le problème.

" C'est de l'argent... Tu m'as offert un bijou en argent."

Je ne peux retenir le rire qui anime mes lèvres en un coup. Il avait fallu que ce soit de l'argent. C'était ma faute. Jamais je n'avais parlé de cette faiblesse vampirique à Neven auparavant. Il ne pouvait pas savoir.

" C'est ma faute. Je suis désolé, j'ai oublié de te dire. Mon petit chat, les vampires sont allergiques à l'argent."

Mon rire me secoua encore plus qu'auparavant. J'étais partagé entre l'hilarité de la situation et le bonheur de recevoir un cadeau aussi beau de sa part. J'étais réellement déçu à l'idée de ne pas pouvoir le porter.

" Mais merci ! Je l'adore ! "

Je lui vole ses lèvres à nouveau, vibrant de rire et de plaisir contre sa bouche. Je fonds complètement pour cet homme.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les réactions sur son visage sont à la hauteur de ce à quoi je m’attendais. La surprise se lit dans ses yeux grands ouverts, alors qu’il en oublie et laisse sa cigarette se consumer toute seule entre ses doigts figés. Si je sens mon cœur battre un peu plus vite sous l’excitation, galvanisé de satisfaction, en revanche je me retrouve bientôt tout aussi étonné qu’il peut l’être lorsqu’il me répond. Quoi ? Comment ça, ce n’est pas son anniversaire ? Mes sourcils frémissement entre incompréhension et mécontentement. Au vu de son expression, je ne me suis pas juste planté d’un jour ou deux. Az a la tronche d’un gars né au beau milieu de l’hiver, à qui on vient d’offrir un cadeau en plein mois de juin.

- Qu’est-ce que tu racontes ? protesté-je, agité par l’incertitude. C’est la date officielle, c’est écrit sur ta carte d’identité.

Mais finalement le sourire qui flotte sur ses lèvres me rassure un tant soit peu. Ça n’a pas l’air de lui déplaire. En fait, j’ai même l’impression d’avoir ébranlé un vieux truc au fond de son âme de vampire. L’éclat tout particulier au fin fond de son regard éveille à nouveau cette agréable chaleur au creux de mon torse. Si bien que je n’anticipe pas son geste tendre. Ses doigts se glissent contre moi alors que sa bouche vient emprisonner la mienne. Mon souffle se coupe sous l’étonnement. Il m’embrasse d’une douceur renversante, qui me donne la vive impression de ne plus sentir le sol sur mon poids. Je … Hm. Az me libère, le contact se rompt, et son attention se reporte sur le petit paquet que je lui ai abandonné. Mes paupières papillonnent, cherchant à remettre mes esprits embrumés au clair. Il n’a pas l’air de se rendre compte du trouble que me provoquent ses manies affectueuses et imprévisibles.

- Je … De rien.

Je mordille distraitement ma lèvre lorsque j’entends le bruit du papier déchiré. La précieuse petite boîte se dévoile entre ses mains. Mes yeux retournent scruter son faciès. Je me rends compte que j’ai rarement eu envie de faire réellement plaisir à quelqu’un comme aujourd’hui. Je ne loupe rien de sa réaction. Gravant le moindre changement de son visage dans ma mémoire, comme un précieux secret. Je crois que j’ai un sourire un peu con lorsque sa bouche s’étire pour montrer son ravissement. Bordel, j’avais vraiment peur que ça ne lui plaise pas. Je n’ai pas l’habitude d’offrir des cadeaux. Vraiment pas. Trouver quelque chose de potable pour les anniversaires de ma petite sœur était déjà particulièrement compliqué. Alors pour un vampire dix fois plus vieux que moi …

- C’est vrai ? Elle te pl…

Son geste brusque pour retirer sa prise du bijou me coupe la parole. Je me crispe d’instinct. Az grogne sa douleur, et moi je retourne plonger dans l’incompréhension la plus totale. Ses mots s’envolent dans les airs sans trouver leur sens dans mon esprit. Il éclate de rire, ce qui a pour effet de me faire froncer les sourcils. Mais qu’est-ce qui lui prend ? Ses explications me hérissent. Ce n’est pas tant le surnom dont il m’affuble, mais l’absurdité de ses propos. Un agacement nerveux me saisit soudain.

- N’importe quoi, Az. Arrête de te payer ma gueule.

Irrité, j’avance ma main pour essayer de saisir la chaîne d’argent à mon tour. La vérité ne tarde pas à s’imprimer douloureusement sous la pulpe de ma peau. La matière me brûle brusquement. J’ai un vif mouvement de recul. Putain. Mais … ce n’est pas vrai … ? Je fixe le bijou, horrifié de découvrir que mon colocataire a raison. Mes joues piquent un fard monstrueux alors que je me sens m’enfoncer dans un nuage de honte.

- Oh non … !

Non, non, non. Mais quel abruti. J’ai envie de me fondre dans le dossier du canapé tant je me sens con. Ma main glisse contre mon visage, mais rien n’y fait. La sensation ne passe pas. Je lui ai acheté un collier en argent. Et les vampires sont allergiques à l’argent. Si on ajoute à cela que ce n’est même pas sa vraie date d’anniversaire … Finalement il aurait peut-être été préférable que le soleil me rattrape tout à l’heure. J’ai vraiment envie de disparaître.

Sa bouche s’abat de nouveau contre la mienne. Son rire résonne à mes oreilles, ne faisant qu’accentuer l’atroce embarras qui me saisit tout entier. Je le repousse juste assez pour échapper à ses baisers, une grimace gênée et dépitée en travers des lèvres. Je n’ai même pas le temps de m’offusquer de sa tendresse, seul le besoin imminent de faire disparaître mon cadeau foiré reste présent dans ma tête.

- Attends, rends-la moi … Je vais aller la changer. C’était complètement stupide. Bon sang.

Je grince des dents, furieux contre moi-même, et lance déjà un geste dans le but de récupérer la boîte qu’il tient toujours malgré tout.

Mon rire à bien du mal à s'estomper lorsqu'il me repousse. Je me sens désolé pour lui tout en étant incroyablement heureux. Neven m'a offert un cadeau. Peu importe le fait qu'il se soit planté de jour, peu importe qu'il m'ai offert un bijou dans le seul alliage que je ne pourrais jamais supporter. J'ai assez d'importance pour lui pour qu'il ai l'idée de m'offrir quelque chose. Et ça dépasse totalement l'horrible gêne qu'il arbore en tentant de récupéré son cadeau.

J'évite aisément son geste désespéré à sa rencontre, éloignant le bijou pour mieux fondre à nouveau sur sa bouche. Je veux le garder. Son premier cadeau. Il est beaucoup trop important pour que je lui rende. Pas tout de suite. Pas avant que je lui ai prouvé à quel point ça compte pour moi.

" Non ! Je la garde ! C'est pas stupide. C'est adorable !"

Mes mains le poussent sur le canapé alors que je délaisse le cadeau sur la table basse, le surplombant de tout mon poids. Je ne le laisserais pas le récupérer, hors de question. Je le maintiens en dessous de moi sans effort, mon sourire gravé sur mes lèvres.

"Tu ne t'es pas dit que la date de ma carte d'identité était fausse ? Tu imagines la gueule des gens si ils découvraient mon âge véritable ?"

À nouveau, mon rire me secoue, je dépose de furtif baisers sur ses lèvres et son nez, ignorant royalement ses gestes à mon encontre pour me repousser autant qu'il le peut.

" Tu es adorable Neven. Je... "

J'étouffe la suite de ma phrase contre sa bouche en me sentant rougir. Ce n'est pas le moment d'avouer ce genre de sentiments. De lui dire à quel point il me rend fou avec ses petites attentions. Pas le moment du tout.

Mes doigts se referment dans le vide. Le paquet m’échappe de peu alors qu’Az rigole de plus belle. L’inverse aurait été trop beau. Sa bouche vient de nouveau s’écraser contre la mienne. Il me tient à distance tandis que sa main tenant le précieux cadeau s’écarte stratégiquement. Maintenant qu’il l’a en sa possession, mes chances de le récupérer sont quasiment nulles. Mais la détresse désespérée qui me donne envie de rentrer sous terre m’empêche d’être assez raisonnable pour lâcher l’affaire. Je m’arrache à son baiser et m’agite pour atteindre l’écrin, évitant scrupuleusement ses lèvres affamées qui ne demandent qu’à me compliquer la tâche.

- C’est pas drôle Az. Redonne-moi ça !

Je suis tellement convaincant qu’il me pousse en arrière. Il m’est impossible de résister à l’impulsion de sa poigne. Mon dos se retrouve coincé contre l’assise du canapé, et moi, contraint à supporter son sourire conquis qui danse juste devant mes yeux. Mon premier réflexe cherche à me relever d’emblée. Mon bras se tend à nouveau vers la boîte désormais abandonnée sur la table basse. Mais Az est au moins aussi borné que je ne le suis, et il a déjà anticipé mes tentatives acharnées pour récupérer le collier. Mes omoplates se sont à peine décollées du siège, qu’elles retournent s’y caler contre leur gré un quart de seconde après. Putain mais quelle plaie ! Sa voix ronronne à nouveau dans les airs. Il attaque sur sa date d’anniversaire. Cette fois, il me pique dans ma fierté. Je m’immobilise soudain et lui renvoie un regard courroucé.

- Bien sûr que si ! m’exclamé-je vivement, quelque peu hargneux par l’idée d’être pris à ce point pour un idiot. Mais je pensais que tu avais simplement changé l’année. Et puis de toute façon, tu n’as aucun moyen de me prouver que la date est vraiment fausse. Je m’en cogne, Az. J’te souhaiterai quand même ton anniversaire ce jour-là l’année prochaine. Et encore l’année d’après. Et tu peux toujours courir pour que je t’offre quoi que ce soit d’autre, si tu me rends pas ce foutu collier !

Mon discours me vaut un bisou sur le nez, ce qui a le don de me faire enrager de désespoir. J’essaye à nouveau de le déloger de là, mais Az a eu le temps, ces derniers siècles, de développer une capacité hors du commun à rester ancré là où on n’a pas envie de le trouver. Et m’écraser sous son emprise, à me narguer de son sourire insupportable, semble être devenu l’un de ces passe-temps favoris. A mon plus grand dam. Ses derniers mots s’envolent avant que sa bouche ne vienne encore une fois réquisitionner la mienne, m’entraînant dans un flot d’émotions complètement contradictoires. Je grogne mon mécontentement et mon désespoir contre ses lèvres, tiraillé par la vague de chaleur qui naît dans mon ventre. Adorable. Il a bien dit adorable. Je peste intérieurement, fronçant les sourcils au-dessus de mes yeux fermés. Les chiots, c’est adorable. Et moi, je ne suis pas un putain de clébard. Mes joues me brûlent d’autant plus. Je me retrouve rapidement déchiré entre l’embarras phénoménal qui croule sur mes épaules et la passion dévorante que son baiser réveille comme une bonne vieille habitude au fond de moi. Mes mains courent sur son corps, dans l’idée de moins en moins déterminée de l’éjecter de là. Je pousse vainement contre son bassin. Mon souffle s’emballe et se mêle frénétiquement au sien. Un second grondement plus étranglé s’élève dans ma gorge. Ma prise change abruptement d’angle. Je cède à l’impulsion sauvage qui œuvre contre mes reins alors que mes doigts s’impriment encore contre ses hanches, non plus pour chercher à les éloigner, mais plutôt pour les rapprocher plus étroitement de moi. Ce type est le diable en personne. Un désir brut grandit avec une facilité déconcertante dans mon pantalon. Comme il sait si bien le faire depuis presque deux mois de colocation. Je retrouve cette délicieuse chaleur étouffante qui se répand comme une traînée de poudre dans mon sang. Mais l’oxygène me manque. Je descelle de force ma bouche de la sienne, rejetant la tête en arrière pour m’attribuer un peu de répit. Mon cœur essoufflé cogne à toute vitesse contre ma poitrine, et contre la sienne. Je retrouve ses yeux un bref instant, pour mieux lui lancer un regard noir.

- J’espère que t’as conscience d’être absolument insupportable.