Ça fait trois jours maintenant, trois jours que la vie a pris un nouvel angle. Trois jours que je tourne en rond chez moi, comme un lion en cage. Le vacarme constant que produit mon voisin, que j’ignore royalement d’ordinaire, ronge un peu plus ma patience à chaque heure qui passe. Ses musiques de merde et le son de ses jeux-vidéos vont définitivement me convaincre de passer à travers le mur pour le balancer par la fenêtre. Pire encore ; je découvre désormais la passion débordante de la vieille sénile de l’autre côté du couloir pour les chats de gouttière du quartier. Une odeur tout bonnement atroce filtre à travers sa porte pour venir s’accumuler juste devant la mienne. Tout est devenu plus précis et prononcé. J’entends des choses qui ne m’atteignaient pas auparavant. Le robinet mal fermé, le bruit de la cafetière du connard qui vit à côté, les aller-retours des dealers dans la cage d’escalier. C'est un vrai bordel de sensations.

J’ai essayé de me sortir de la tête ce qui s’est passé. J’ai essayé de me convaincre que j’avais halluciné, que la fatigue m’avait fait perdre l’esprit, et que si j’oubliais tout ça, alors ce serait comme si rien ne s’était passé. J’en ai cramé jusqu’à la dernière de mes clopes.

Et pourtant je sais qu’elle est toujours là. Cette faim vorace et dévorante. En latence, quelque part dans mon ventre. Une part de moi sait très bien qu’elle réapparaîtra à un moment ou à un autre. L’odeur du sang est encore trop présente dans ma mémoire pour que tout ceci n’ait été qu’un putain de mirage.

Mais ce n’est pas ça qui m’a poussé à sortir de mon appartement. J’y serais bien resté jusqu’à y crever comme un chat enfermé par inadvertance, pourtant. Non, ce qui m’a poussé à quitter ces murs froids et sans couleur, c’est ce besoin profond qui me démange et me pousse à retourner sur les lieux où ce délire a commencé. Là où j’ai planté mes dents comme un fauve affamé dans la chair tendre d’un parfait inconnu.

J’ai douté de la parole d’Azenor jusqu’au moment où, finalement, la porte de son immeuble s’est refermée dans un claquement discret derrière moi. Il ne m’a pas retenu. Il n’a même pas cherché à le faire. Je suis simplement parti, sans un mot ni un regard de plus.

Depuis, j’ai cet instinct viscéral qui me prend aux tripes. Il faut que j’y retourne. L’idée m’obsède et m’empêche de fermer l’œil.

J’ai dû attendre le levé de la nuit avant de mettre le pied dehors. J’ai été contraint de m’y résoudre lorsque les rayons solaires matinaux ont provoqué sur ma peau une cuisante sensation de brûlure. La journée s’est avérée interminable. Les nerfs à vif, j’ai guetté chaque seconde s’écouler, assujetti à une impatience maladive.

Lorsqu’enfin le ciel voilé d’étoiles s’est installé en chassant la moindre lumière céleste, j’ai pris le risque de quitter mon repère empestant le tabac froid, de dévaler silencieusement les escaliers, et de pousser presque craintivement la porte principale du bâtiment. Un soupir rassuré a quitté ma poitrine quand j’ai constaté que mon corps ne se mettait pas à prendre feu, une fois la semelle de mes baskets foulant le trottoir.

Il m’a fallu un long moment avant d’en arriver là. Devant cet immeuble que j’ai quitté trois jours plus tôt, empreint de cette certitude de ne plus jamais y refoutre les pieds. Retrouver le chemin jusqu’ici n'a été qu'une légère difficulté. Eviter les habitants déchaînés en ce début de soirée, en revanche, s’est révélé être une véritable épreuve. L’éclat trop fort de leurs rires, combiné au battement doux et attirant du sang dans leurs veines, m’ont poussé à faire des détours rocambolesques.

Mais me voilà, là, à présent. Mes yeux fouillent la devanture de l’édifice, espérant silencieusement y trouver de quoi calmer l’agitation qui me ronge de l’intérieur. Je profite du passage d’un habitant pour retenir in extremis la porte du hall principal et m’infiltrer à l’intérieur. La fraicheur des lieux me saisit alors que je remonte, dans la pénombre des couloirs, le même chemin emprunté l’autre soir. Une certaine tension tombe sur mes épaules lorsque je reconnais le pallier du troisième étage. Mes pas me guident instinctivement jusqu’à la porte interdite. Je retiens mon souffle en fixant un instant le bois du panneau qui me fait face. Son odeur s’infiltre finalement jusqu’à mon odorat. Son odeur à lui. Etrangement, l’étau nerveux qui m’enserre la gorge se détend sensiblement.

Mon poing se lève sans que je ne le décide réellement et vient frapper à plusieurs reprises contre la porte. Je ne sais pas pourquoi je fais ça. Je ne sais pas exactement ce qui m’a poussé à revenir ici. En revanche, le silence lourd de sens qui ensuit mon geste me laisse complètement désemparé. Il n’y a pas le moindre mouvement à l’intérieur. Le vampire n’est pas là. Je n’avais pas prévu qu’il se soit volatilisé. Ses promesses sont encore fraiches dans ma mémoire. Il y aura toujours une place pour toi ici.

Une partie de moi s’ébroue et peste contre cette situation. Je n’ai pas besoin de l’aide de ce gars. Ni qu’il m’ouvre la porte de chez lui lorsqu’une envie incompréhensible m’oblige à venir m’y réfugier.

L’autre, par contre, a déjà compris qu’il ne sert à rien de lutter contre cette pulsion viscérale inscrite dans ma chair. A l’endroit exacte où les dents d’Azenor ont percé ma peau l’autre soir. Ce manque pesant au fond de mon ventre, il n’y a que lui qui peut l’assouvir.

Mes baskets raclent contre le paillasson. Mon regard traîne sur le couloir désert. Est-ce qu’il compte rentrer avant le retour du soleil ? Est-ce qu’il compte même revenir ici un jour ? L’incertitude m’envahit. Mon dos vient s’appuyer contre la porte résolument close, avant que je ne me laisse glisser vers le sol. Je reste assis là, sans savoir pourquoi et refusant d’y réfléchir vraiment, me concentrant simplement sur les effluves légères de son odeur qui traînent encore dans les airs.

Déjà trois jours. Trois jours que mon chat sauvage s’est juste barré de chez moi à la minute où je lui avais enlevé ses cordages. Ca n’était pas surprenant, après tout, je n’étais rien de plus à ses yeux qu’un fou furieux l’ayant condamné à une vie horrible pour n’importe quel être censé, mais sans savoir pourquoi, ça m’avait fortement déçu. Déçu et soulagé en même temps. J’allais pouvoir retourner à ma petite vie comme si rien ne c’était passé. Ce mec n’était définitivement pas le genre à avoir besoin d’aide, ou du moins à bien vouloir en accepter. Surtout de la part d’un inconnu. C’était mieux comme ça. Pour tout le monde. Mais je ne pouvais pas m’empêcher d’être inquiet. Comment allait-il réussir à se nourrir correctement ? Est-ce qu’il allait tuer la première personne qui croiserait sa route rien qu’en entendant les battements réguliers de son coeur ? Ou même en observant sa jugulaire bondir doucement dans son cou ? Et si il se brûlait ? Et si il n’arrivait pas à aller mieux ? A accepter sa situation ?

Et au final, pourquoi est-ce que ça m’inquiétais au juste ? Il avait fait son choix. Il ne voulait pas de mon aide et je ne voulais pas partager mon appartement avec un gars que je connaissais à peine, même si je l’avais transformé. Je tenais à mon indépendance, à ma vie de célibataire endurci avec les années. A ma liberté de faire ce que je voulais quand je le voulais. Pourtant, son regard terrifié avait marqué mon esprit. Empli de désespoir et de fatigue. Et ça me rendait complètement dingue. J’essayais de le chasser de ma tête à coup de bière et de clopes mais rien n’y faisait. J’y pensais, que je le veuille ou non. Et je me sentais con pour ça.

Alors, comme presque chaque soir, je me rendais jusqu’à la boite où je travaillais avec le furieux espoir de l’y croiser. Après tout c’était là que nous nous étions rencontrés. Puis, je me rappelais de l’impossibilité de la chose. Il devait être à fleur de peau, ses sens en éveil et une boite de nuit n’était pas vraiment l’endroit idéal dans son état. Je soupirais pour moi-même en abandonnant mon casque, ma veste en cuir et mon sweat derrière le bar, avant de saluer mes collègues déjà au travail. Les heures défilèrent entre les cocktails et les bières que je servais presque à la chaine. L’avantage, c’est que ça m’évitais de penser. Et lorsque son visage apparu à nouveau dans mon esprit, je décidais qu’il était grand temps de trouver qui serait l’heureux élu de ce soir. Je jetais mon dévolu sur un client en seulement quelques minutes, reproduisant le même schéma qu’à l’habitude. Mes crocs plongèrent dans son cou avant qu’il ne réalise quoi que ce soit une fois enfermés dans les toilettes. Je ne faisais pas dans la dentelle. Je volais ce que je voulais de lui en prenant soin de couvrir les traces de mes crocs par la suite, puis m’enfuit aussi rapidement que j’étais arrivé.

Enfin, la nuit prenait doucement fin lorsque je récupérais mes affaires. La fraicheur de l’extérieur me fit frémir alors que mon casque prenait place sur mes oreilles, couvert par la capuche de mon sweat. Mes mains se glissèrent dans mes poches après m’avoir allumé une cigarette, mes pas prirent automatiquement la route pour rentrer chez moi, fuyant les derniers éméchés qui faisaient encore la fête dans la rue. Dans moins d’une heure, le soleil se lèverait et j’allais enfin pouvoir me reposer un peu. Je ne devais m’occuper de rien, seulement du jeu auquel j’avais prévu de jouer pour me détendre. Mes gestes automatiques déverrouillèrent la porte de mon immeuble. Par réflexe, je frottais mes chaussures avant d’entrer. A peine passé la porte, je prenais mon courrier et celui de ma voisine avant de prendre mon élan pour rapidement monter les trois étages qui m’attendaient, le regard fixé sur les lettres que j’avais reçues lorsque j’atterri sur mon palier. Je m’arrêtais d’un coup en sentant son odeur, avant même que mon regard ne s’accroche à lui, assis sur mon paillasson. Il était revenu, finalement. Un fin sourire se mua sur mes lèvres alors que je relevais la tête, enlevant ma capuche et mon casque qui tomba autour de mon cou. Depuis quand m’attendait-il ici ? Un moment, vu sa tête. M’avait-il attendu toute la nuit ? Je glissais le courrier de ma voisine sous sa porte avant de l’approcher en sortant mes clés de ma poche.

« Alors, je te manque déjà ? »

Mon sourire s’étira sur mon visage au moment où ma clé entrait dans la serrure. Je le laissais me suivre à l’intérieur, récupérant rapidement la clé que je jetais dans le vide poche suivie de mon courrier, avant d’enlever ma veste. Mon regard le chercha furtivement alors que mes pas glissèrent jusqu’à mon frigo, en sortant deux bières que je déposais sur le plan de travail.

« Tu as mangé ? »

Et je ne parlais pas d’une faim humaine, bien entendu. Mes iris le détaillèrent un instant, l’air suspicieux. Il avait les traits beaucoup trop tirés à mon goût. Les vaisseaux sanguins de son visage commençaient doucement à apparaitre. C’était encore discret, mais pas assez pour que je ne le remarque pas. Je m’approchais en plaçant mes mains autour de son visage, analysant rapidement son état par mes gestes autant que par mon regard.

« Tu dois manger tous les jours pour bien grandir petit vampire. Pas d’exception. Tu as de la chance, j’ai fais le plein de sang hier. Tu as le choix ! »

Un grand sourire sincère barrait mon visage avant que je ne le relâche, retournant vers le frigo que j’ouvrais une nouvelle fois, ce coup-ci pour en sortir une poche de sang.

« A positif. J’ai aussi du 0 positif si tu préfères. Tu goûteras et tu me diras quel est ton favori. »

Je lançais la poche de sang sur l’ilot central juste à sa portée, puis refermait le frigo. Mes mains cherchèrent mes cigarettes, m’en allumant une en récupérant ma bière au passage, direction le canapé où je m’asseyais en soupirant d’aise, impatient qu’il me rejoigne en ne pouvais pas m’empêcher de le regarder.

Je me relève précipitamment alors qu’il apparaît sur le palier et traverse le couloir d’un pas décidé. Mes muscles protestent maladroitement. Le froid du sol a eu le temps d’imprégner mes membres jusqu’à l’os, depuis le temps que je suis là, assis et plonger dans mes réflexions, comme souvent depuis ces dernières soixante-douze heures.

Azenor débarque avec un naturel qui me laisse pantois. Il ne paraît même pas surpris de me trouver là. Et contre toute attente, je n’ai même pas le temps d’en placer une, qu’il me cloue déjà le bec d’une remarque particulièrement résonnante à mon oreille. Je grimace dans son dos tandis qu’il déverrouille la porte de l’appartement sans attendre, franchement mal à l’aise avec une telle idée. S’il me manque déjà ? Putain, j’ai envie de rentrer sous terre.

Je reste un instant incertain quant à l’attitude à adopter lorsqu’il disparaît à l’intérieur en laissant la porte ouverte dans son sillage. Mes dents viennent brièvement mordiller mes lèvres, avant que je ne cède à l’envie de lui emboîter le pas. Mes doigts referment la porte à l’aveuglette, alors que mes yeux sont déjà occupés à redécouvrir le décor. Je m’attarde plus longuement sur le canapé en m’avançant au cœur de l’appartement. Tout est comme dans mon souvenir. Les coussins, la table basse, la disposition des rideaux. Chaque détail est encore gravé dans ma mémoire. Il ne manque que ce type malheureux au regard vide.

La voix du vampire m’arrache à cette vision du passé qui me happe et me ramène au présent. Sa question me fait soudain prendre conscience de sa proximité. Merde, je ne l’avais pas entendu approcher. Ses mains se bloquent autour de ma tête alors que je me tourne brusquement vers lui, me retrouvant alors coincé sans le vouloir entre deux prunelles céruléennes. Il me sonde avec toute l’intensité de son regard. Mon souffle se coince dans ma trachée. Mon être s’embrase et les petits poils de ma nuque se hérissent de plaisir. Son odeur me submerge brusquement, et là où ses mains m’ont touché, je sens ma peau picoter d’apaisement.

Enfin cette nervosité constante dans mon corps soupire avec soulagement. Elle se calme considérablement, pour repartir presque aussitôt lorsque les doigts du vampire s’évaporent.

La sensation brûlante et délirante qu’il me laisse en s’éloignant m’empêche d’avoir la répartie nécessaire pour rembarrer ses allusions moqueuses. Non, tu ne me manques pas. Et arrête de te payer ma gueule, je suis pas un petit vampire. J’observe un instant la poche d’un rouge sombre qui trône sur la table. Azenor retourne déjà dans son salon, ne laissant derrière lui que le souffle discret de son passage. Ma main s’abat finalement sur l’objet pour l’étudier plus en détail, tandis que mes jambes suivent mécaniquement le même mouvement que lui dans l’appartement.

- Comment tu fais ça ?

Mes pas s’arrêtent devant la table basse, sans parvenir à aller m'asseoir sur ce canapé qui me laisse une mauvaise impression. Je déplace mon attention de la poche de sang vers son visage, plissant imperceptiblement les yeux pour mieux comprendre son fonctionnement. La simplicité de la situation me laisse méfiant.

- Comment tu fais, pour te nourrir de ça tous les jours ? précisé-je finalement.

Mon timbre n’a rien d’accusateur, si ce n’est une curiosité placide. Une légère tension réapparaît en moi alors que mes yeux traînent sur lui avec insistance depuis de longues secondes.

- Tu m’as mordu l’autre jour, n’est-ce pas ? demandé-je dans un souffle rauque. Juste là.

Mon bras se lève pour laisser le bout de mes doigts effleurer l’endroit exact où la trace de ses dents était apparue après notre échange sulfureux dans les toilettes. Une nouvelle once de chaleur, douce et stimulante, se propage graduellement sous la peau de mon cou. Mes lèvres restent entrouvertes sur ma question, tandis que je découvre cette envie sourde d’être non loin de celui qui m’a mordu, un peu plus à chaque seconde qui s’écoule en sa présence. Ce qui m’intrigue à présent, c’est de comprendre où ce besoin instinctif trouvera ses limites.

J'observe mon chat sauvage avec attention en étant assis dans le canapé, ma cigarette trainant au bout du mes doigts alors que de l'autre, je dépose ma bière sur la table basse une fois servit. Il m'a l'air perdu et en même temps, je ne sais pas. On dirait qu'il n'est pas sûr de vouloir être ici. Son regard sur le canapé me fait réalisé le malaise qu'il représente pour lui, faisant remonter d'un coup la culpabilité qui s'était envolée depuis quelques jours. Il n'avait même pas réagit lorsque je l'avais taquiné, il était juste, passé à autre chose, visiblement intrigué par la poche de sang qu'il avait à présent en main. Alors, j'attendais en l'observant. J'avoue ne pas très bien comprendre sa première question. J'attends qu'il développe sa pensée sous son oeil curieux, vascillant de mon visage jusqu'à la poche entre ses doigts. Comment je faisais pour me nourrir tous les jours ? Cette question me semblait à la fois étrange pour un vampire et parfaitement censée pour quelqu'un qui n'y connaissait rien. Mon sourire se mua à nouveau sur mes lèvres.

" C'est un besoin viscéral. C'est comme si tu me demandait comment est-ce que je respire. Au début, c'est déstabilisant. Très intense. Ca peu te faire perdre la tête si tu en bois trop, si la tentation est trop forte."

Il continua sur sa lancée, me rappelant la morsure que je lui avais moi-même imposée, ce fameux soir dans les toilettes.

" Je t'ai mordu oui. Et j'ai fais en sorte que tu en gardes un délicieux souvenir."

Je repris une gorgée de bière avant de me relever, lui faisant à nouveau face en abandonnant ma cigarette dans mon cendrier.

" Notre morsure peut être à la fois la pire des douleurs ou l'extase la plus totale. Cela dépend du consentement, entre autre chose. Tu l'as sens encore, n'est-ce pas ? Pulser sous ta peau, comme une marque brûlante qui refuse de s'estomper."

Mon regard s'accrocha à sa bouche entre ouverte alors que ses doigts frôlaient doucement sa peau. J'avais soudain cette furieuse envie de le goûter encore, de lui montrer toute l'étendue de mes explications mais je n'en fit rien. A la place, mes doigts glissèrent jusqu'à ma jugulaire, traçant leur route sur cette maigre parcelle de peau que je tendais en laissant ma tête partir sur le côté, lui offrant la vue de mon cou.

" Ici, là où tu peux voir les palpitations du coeur, c'est le meilleur endroit pour mordre. La chair est tendre, facile à percer. Elle cède avec un minimum de pression. Et ensuite, eh bien il n'y a plus qu'à se servir et à apprécier... "

Ses explications me donnent d’inavouables envies. C’est comme rentrer à la maison après une grosse journée et sentir l’odeur du plat en préparation dans le four. J’ai l’eau à la bouche, et à en voir l’éclat nouveau dans son regard, il subit le même effet.

- Ouais …

Je l’observe, sourcils légèrement froncés. Il a raison. Je pourrais presque sentir la sensation qu’il me décrit bouger sous la pulpe de mes doigts. Est-ce que j’ai vraiment été consentant pour ça la première fois ? Quelque chose me dit que ce n’est pas totalement sans rapport avec l’état du type que j’ai mordu l’autre fois, sur ce même foutu canapé.

Mais je ne cherche pas à en savoir plus, car Azenor a recommencé à bouger. Son bras se lève jusqu’à son visage. Ce simple geste happe mon attention entière. Un désir brut et sauvage me dévaste à la simple vue de son doigt glissant le long de sa jugulaire. Je me sens tressaillir. Sa voix caresse mon oreille, elle me captive et m’électrise. Sa posture me défie et m’attire, le cou ainsi dévoilé. Je me sens perdre définitivement pieds lorsque, suivant ses mots, j’aperçois la palpitation furtive et effacée de son sang sous sa peau blanche.

La poche de sang tombe quelque part entre la table basse et le canapé. D’un geste vif, je brise la distance qui me sépare de lui. Je pense un instant que je vais le mordre, que je vais céder à cet instinct délicieux, pour lui prouver à quel point j’ai envie de lui. Mais c’est un automatisme bien plus humain qui reprend le dessus, lorsque ma main se glisse contre sa nuque et que mes lèvres viennent heurter les siennes d’une violente ferveur. Le toucher me rend extatique. Le contact de sa peau glacée, de ses cheveux, et sa bouche fait exploser quelque chose dans ma poitrine. C’est grisant et exaltant.

Mon autre main vient bien vite encadrer l’autre partie de sa tête. Mon pouce glisse lentement le long de sa gorge. Je sens sa peau réagir sous mon passage. La veine principale, la pulsion du liquide carmin, son appel implorant et étourdissant. C'est juste là.

Ma bouche s’ouvre brièvement contre la sienne pour récupérer de l’air. Deux petites canines commencent à piquer l’intérieur de mes joues lorsque je réitère mon baiser éperdu. Elles viennent chatouiller les siennes sous l’ardeur de mon geste. Un goût métallisé vient charmer ma langue. Je l’ai blessé en l’embrassant, si bien que je récupère la saveur infime mais dévorante de son sang. Un désir grondant monte dans mon torse.

Il n’y a qu’à se servir. Et apprécier.

J'ai à peine fini ma phrase lorsqu'il se jette furieusement sur mes lèvres sans que j'ai le temps de le voir venir. J'ai un léger mouvement de recul sous la violence de son baiser, mais sa main dans ma nuque m'empêche de fuir même si je l'avais voulu. Mes bras se referment sur lui dans le creux de son dos, le ramenant au plus près de moi. Il m'électrise complètement, provoque un feu brûlant ardemment dans mon ventre. Je frissonne de tout mon être lorsqu'il relâche mes lèvres brièvement, le temps de retrouver un peu d'air. Je crève déjà d'envie de lui. Mes mains glissent vers ses épaules, le serre contre moi au moment même où il reprend ma bouche. Mes sourcils se froncent légèrement alors que le goût caractéristique du sang s'invite dans le ballet de nos langues. Il m'avait mordu. Cela suffit à faire apparaitre mes crocs en réponse aux siens, a faire vrombir l'instinct animal qui m'habitait. Mes dents goûtèrent sa lipe, l'écorchant pour mieux reprendre sa langue ensuite. Ma prise sur lui ce fut plus sauvage, mes mains glissèrent sur ses fesses avec envie alors que je refusais de lâcher ses lèvres. Puis elles remontèrent sous son t-shirt, redécouvrant sa peau glaciale, en contraste total avec la chaleur qui se dégageait de son baiser. Bon sang, je n'aurais jamais cru qu'un baiser puisse me mettre dans un tel état.

Mes mains relevèrent son haut jusqu'à le lui enlever complètement, me séparant de lui juste le temps de le faire passer au dessus de nos têtes. La vision de son torse parsemé de grains de beauté provoqua mon désir de lui. Il était parfait, de la tête au pied. Je le voulais, maintenant. Mes mains glissèrent sur ses fesses à nouveau, cette fois pour le soulever, nous faisant atterrir sur le lit de ma chambre en un éclair. Ma bouche attaqua son cou, mes crocs frôlèrent l'endroit exact où j'avais déjà posé ma marque. Son odeur, son sang, lui, il m'avait trop manqué pour que je puisse me retenir. Avec sensualité, ma bouche embrassa sa peau, la goûta encore avant que mes crocs ne s'y plantent en un mouvement, me faisant soupirer de plaisir contre son épiderme. Juste le temps d'accueillir son sang dans ma bouche que je me retira déjà, continuant ma délicieuse descente sur son torse.

Sa réponse à mon geste involontaire ne tarde pas à se faire sentir. Ses dents se referment sur ma lèvre dans un mouvement suave et bestial. L’odeur du sang se mêle alors à son propre parfum, achevant définitivement de réduire en miette mon self contrôle. Il exerce sur moi une toute nouvelle attraction, qui ne ressemble pas exactement à celle qu’il exhalait une semaine plus tôt. C’est plus profond cette fois. C’est instinctif, c’est viscéral, et aussi immuable que ce poison sanguinaire qu’il m’a transmis l’autre soir. Mes yeux sont déjà recouverts d’un voile de désir aveugle lorsqu’il me quitte le temps de retirer mon vêtement.

La prise d’Azenor sur mon corps se fait plus marquée, et plus exclusive. Ses bras se referment autour de moi. Une fraction de secondes suffit pour inverser le décor et renverser la gravité. Je prends à peine conscience de la chambre qui nous entoure alors qu’un matelas aux effluves masculines m’accueille. Le parfum de mon vampire m’enveloppe et exacerbe mes sens. Ses doigts parcourant mon torse me rendent fou. Mais ce n’est rien comparé à la sensation terrible et galvanisante de ses crocs caressant ses vieilles cicatrices dans mon cou.

Je soupire violemment lorsque ses dents pénètrent enfin ma chair. La douleur me traverse en un éclair, presque aussitôt chassée par le plaisir qui me contamine. Mes doigts se perdent dans ses cheveux désordonnés. Mon souffle se brise, avide, à chaque fois que ses lèvres reviennent dévorer ma peau.

Le désir brut qui m’anime me pousse à me redresser sur mes coudes alors qu’il descend toujours plus bas sur mon ventre. Mes jambes s’emmêlent aux siennes pour bloquer son avancée. Ma respiration s’emballe alors que j’essaye de retrouver l’intensité de son regard. Mon beau blond relève suffisamment la tête pour répondre à mon silencieux appel. Je n’en attends pas moins pour laisser mes mains se perdre sous son propre t-shirt. Ma prise se referme sur le tissu, qui empeste l’alcool et la luxure. Le bruissement vif et agressif qu’il émet lorsque je le déchire par mégarde accentue la tension qui m’habite. Sa peau nue m’est enfin accessible. Son contact glacé et brûlant contre la mienne me percute avec délice.

N’y tenant plus, ma paume retrouve sa place contre sa nuque aussitôt après. J’appuie juste assez sur mon bras pour me relever et fondre sur son visage, ma langue venant récupérer lascivement une perle rouge perdue aux coins de ses lèvres. L’animal monstrueux au fond de moi gronde de plus belle. Impatient. Assoiffé. Insatisfait.

Je n’ai pas le temps de descendre beaucoup plus sur son torse. Il me retient à lui, emprisonne mes jambes des siennes pour me stopper, me faisant me relever vers lui. J’accueille son regard flouté d’un désir bestial dans le mien, me faisant redoubler de désir face à son intensité. Il m’arrache mon t-shirt en voulant m’en débarrasser, m’arrachant un sourire amusé tandis que sa main atterri avec violence sur ma nuque. Sa langue contre ma bouche me fait rugir, réveille un peu plus l’instinct animal qui hiberne en moi. Mes mains le plaquent contre les draps avec force alors que mes crocs pointent en dehors de ma bouche entre ouverte. Je le surplombe en le bouffant des yeux, frissonne rien qu’à sa vue tellement excitante. Mes lèvres quémandent les siennes, les dévorant encore, faisant jaillir un filet de sang glissant dans son cou avec lenteur. Ma langue n’en manque pas une miette alors que mon bassin se presse contre le sien, que mes mains emprisonnent ses poignets avec force. La dernière goutte disparue, je me redresse d’un coup, m’appuyant sur mes genoux alors que mes mains le libèrent, mes doigts glissant avec lenteur sur son torse, son ventre, jusqu’à arriver à sa ceinture. Mes iris ne l’ont pas lâchées, accrochées à son visage, à son corps appelant à toujours plus de luxure. Je le déshabille en prenant mon temps, en voulant le frustrer un peu, m’obligeant à redoubler de lenteur alors que mes mains accrochent son jeans. Puis, en un coup, elles l’en débarrasse, emmenant son boxer au passage, faisant glisser son corps jusqu’à moi dans un mouvement brut, faisant bondir le feu me dévorant le ventre. Ainsi offert, je n’ai qu’une envie, le dévorer, le marquer de mes baisers sulfureux, le rendre aussi fou de moi que je peux l’être de lui à cet instant. L’animal en moi grogne de bestialité, insatisfait, diablement excité par la seule pensée qu’il m’appartienne encore. Je le veux. Entièrement. Je veux être le seul qu’il désire, même si c’est totalement irrationnel. Il est à moi. Il m’appartient.

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Une fièvre brûlante continue de me clouer au matelas après le départ de ses mains impérieuses. La chaleur se déplace dans mon bas-ventre, cruelle et séduisante, à mesure que son toucher sulfureux glisse sur ma peau sensible. Je lui rends son regard, le souffle court, appréhendant son geste futur dans une exultation galvanisée. Sa façon qu’il a de me regarder aiguise l’attrait avide qu’il m’insuffle. L’organe vitale coincé dans ma poitrine bondit douloureusement lorsque ses doigts s’accrochent à mon jeans. Ses iris incandescentes ne me laissent pas de répit. J’y décèle tant de promesses, de frénésie et de luxure, que j’en ai l’esprit retourné. Je suis dur et bouillonnant, rien qu’à cause de lui. Rien que pour lui.

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- C’est Neven, mon nom.

L’aveu sonne comme un secret alors que je reconnais à peine ma voix enrouée. J’ignore pourquoi j’ai soudainement éprouvé le besoin de le lui dire. Peut-être parce qu’après tout je connais le sien, et que c’est la deuxième fois en une semaine que je me laisse posséder par sa jolie gueule. Ou peut-être parce que, finalement, je ressens comme le besoin fou de devenir quelqu’un de concret à ses yeux.

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Sa voix rauque résonne en moi tel le plus beau des aveux. Son nom. Il me l’accordait enfin. Neven. Il se répétait en écho dans ma tête comme une litanie merveilleuse. Neven. Mes lèvres se mouvaient pour le répéter dans un murmure, le regard perdu dans ses iris si attirantes et profondes, capable de m’avaler tout entier. Mon dos décolla du lit, mon corps se glissa vers lui pour le surplomber encore, mes lèvres venant lui voler un baiser chargé de toute la tendresse qu’il provoquait dans mon ventre. Un baiser tellement chaste, en contraste total avec ceux que nous venions d’échanger. Mes doigts glissèrent doucement sur sa mâchoire, se perdant dans sa barbe de quelques jours, titillant ses poils avant de glisser sur son cou, finissant leur course sur son torse au moment même où je relâchais sa bouche légèrement gonflée à force d’avoir été maltraitée par la mienne.

« Est-ce que tu restes cette fois ? »

Une brise chaleureuse me colonise de l’intérieur lorsque ses lèvres frémissent et répètent mon nom. L’émotion étrangère qui me submerge me prend de court, me laissant totalement désœuvré quant à ce que je dois faire. Ce n’est pas comme d’habitude. Ce n’est pas … juste une partie de baise en l’air, comme tant d’autres qui se sont déroulées par le passé. C’est particulier et électrisant. A nouveau, la douce flamme se rallume sous la peau de mon cou, à l’endroit où il m’a mordu l’autre soir dans la ruelle. Comme pour répondre à cet appel silencieux, le vampire se meut lestement pour venir incruster ses lèvres contre les miennes. Je me laisse surprendre par ce contact tendre. Ma peau frémit dans le sillage de ses doigts. Bientôt ses iris étincelantes reviennent me coincer au fond de leur bleu saisissant. Sa question m’enveloppe. L’ambiguïté pointe dans mon esprit tandis que je me plonge sans remord dans la profondeur de son regard. Il m’est impossible de déterminer s’il fait allusion à ma disparition après notre affaire dans les toilettes de la boîte de nuit, ou s’il parle plutôt de la proposition qu’il m’a fait avant que je ne m’enfuie lâchement de son appartement. La première solution m’empreint d’un amusement railleur, tandis que l’autre me donne encore cette impression de sentir un gouffre s’ouvrir sous mes pieds. Pourtant, un certain temps s’est écoulé depuis que j’ai appris la vérité. Et l’idée de retrouver l’atmosphère froide et oppressante qui règne chez moi me laisse comme une boule d’appréhension dans le fond de la gorge. Mes yeux se plissent, suspicieux, alors que je ne parviens pas à comprendre ce qui se cache derrière ce regard.

- Tu en as envie ?

J’évite sa question, néanmoins prêt à plier bagage s’il me fait comprendre que ma présence n’est plus tellement désirée. Et puis, d’un coup, sa tendresse me met mal à l’aise. Peu habitué à ce genre d’effusion après le sexe, j’échappe à son emprise et bouge enfin pour me redresser, assis sur le lit, appuyé sur mes deux bras plantés dans le matelas.

Je découvre la chambre qui nous entoure pour la première fois. L’ambiance est tamisée, pleine d’une aura masculine. Un léger désordre repose là, entre le livre retourné sur la table de chevet et nos vêtements balancés insolemment sur le parquet. Mon attention s’attarde sur la tête de lit, et plus particulièrement à l’endroit marqué par la poigne dévastatrice du vampire. Une profonde zébrure marque le bois, depuis l’endroit où ses doigts durs se sont refermés. La puissance de notre condition m’engourdit le ventre d’une sensation grisante.

Mes yeux achèvent leur rapide tour du propriétaire avant de retomber sur lui. Une terrible envie de nicotine se réveille sous mon crâne, en bonne vieille habitude. Un appétit tout autre ne tarde pas à venir s’y greffer. Mon estomac se rappelle à ma conscience en se tordant délicieusement. Cette fois, je suis persuadé que je n'arriverai pas à la faire taire.

- J’ai faim … avoué-je enfin, scrutant son visage comme si je pouvais y déceler un remède inespéré.

Il évite ma question pour préférer en poser une lui-même, arquant mon sourire brièvement. Si j’ai envie qu’il reste ? Oui, là, maintenant, j’en ai envie. Diablement envie. Mais pour combien de temps au juste ? Une journée ? Quelques nuits ? Je préfère ne pas me poser la question maintenant. Il décidera à ma place de toute façon. Il partira lorsqu’il en aura envie, et une fois de plus, je ne ferais rien pour le retenir. Ce mec était un esprit libre. Je ne me voyais pas me mettre en travers de sa route si il ressentait brusquement l’envie de ce barrer. Qui étais-je pour le faire d’ailleurs ? Juste le gars qui lui offert la vie éternelle avec quelques coups de reins en cadeau. Rien que ça.

« Reste autant que tu le veux. »

Cette pensée fusait dans mon esprit à l’instant même où il me repoussait pour se relever et s’asseoir sur le côté du lit, m’abandonnant derrière lui. Mon regard le détailla, de ses cheveux en bataille aux fins poils de sa nuque, puis descendant le long de la courbe de son dos musclé, s’égarant jusqu’aux tatouages qu’il portait aux bras. Ils étaient délicieusement sexy. Il me faisait vibrer, il n’y avait pas d’autre mot pour définir l’effet qu’il me provoquait brutalement. Je soupirais en pensant à mes propres paroles. Peut-être que j’étais juste idiot de lui proposer ça. Peut-être qu’il me prenait juste pour un con avec lequel c’état sympa de s’envoyer en l’air. Sans doute, en fait. C’était mieux comme ça. Autant pour lui que pour moi.

Ce fut sa voix qui me sortait brusquement de mes pensées. Mes yeux se relevèrent vers les siens, un fin sourire réapparu sur mon faciès, chassant tout de mes précédentes pensées. Il avait faim. Cela suffit à me faire bondir de mon lit à la recherche de mon caleçon, malencontreusement envoyé à l’autre bout de la pièce. Je prenais le temps de m’essuyer avant de l’enfiler, me mouvant ensuite automatiquement jusqu’au salon. J’y récupérais mes cigarettes sur la table basse, puis la poche de sang tombée au sol. Mes doigts se servirent dans mon paquet, glissant leur prise entre mes lèvres tandis que mes pas m’amenaient jusqu’à la cuisine à la recherche d’une paille. Une fois trouvée, je la plantais dans la poche de sang, puis m’emparait d’un briquet trainant sur le plan de travail pour allumer ma cigarette, un air satisfait sur le visage. Je tirais dessus en empruntant le chemin inverse, présentant son repas à mon chat sauvage une fois devant lui. Neven.

« Monsieur est servi. »

La sincérité de mon sourire s’afficha furtivement sur mes lèvres, alors que mes doigts faisaient leur aller-retour jusqu’à celles-ci pour y déposer la nicotine.

« Lève toi, je vais changer les draps. »

Je l’abandonnais là pour aller jusqu’à mon dressing, en sortant une nouvelle literie. En un éclair, je débarrassais la couche des draps souillés pour les remplacer par ceux, propres, que je venais de sortir. Ils étaient simples, tout en noir avec ce fines lignes grises sur leurs contours, dans une matière proche de la soie sans être trop glissante. Satisfait, je me posta au pied du lit, les mains sur les hanches le temps d’admirer mon travail, reprenant enfin la cigarette trainant toujours au coin de ma bouche.

« Bien mieux ! »

Mes iris le recherchèrent dans la pièce, me laissant attendrir par la vision de lui la paille en bouche, suçant avec plaisir la poche de sang que je lui avais offerte. Il me ferait presque à nouveau bander rien qu’avec sa langue recueillant le liquide carmin dans sa bouche. Presque.

« Alors, qu’est-ce que t’en penses ? C’est à ton goût ? »

Je me rapprochais de lui en le fixant, laissant ma main aller à la rencontre de ses fesses que je frappais en passant, l’air appréciateur avant de revenir dans le salon.

« Je vais prendre une douche ! Fais comme chez toi ! »

Je m’éclipsais sans plus attendre, le laissant maitre de mon appartement en tirant une énième fois sur ma tige que je déposais dans le cendrier de la table basse au passage. Mon sourire refusait de se décoller de mes lèvres, même une fois devant le miroir de ma salle de bain. Putain Az, arrête tes conneries. On dirait un adolescent qui découvre la joie du sexe pour la première fois. T’as plusieurs siècles dans les dents et t’en est toujours au même stade. Calme toi. Ne te fais pas avoir si facilement. Pas cette fois. Ce serait trop con. Je pris une grande inspiration, enleva mon seul vêtement avant de me glisser dans la douche. L’une de mes mains activa le robinet, laissant l’eau chaude s’abattre sur mon corps en quelques secondes. Mes yeux se fermèrent, de ma bouche s’échappa un nouveau soupir, celui-ci appréciateur du contraste de l’eau bouillante sur mon épiderme glacé.

Je n’ai toujours pas bougé du bord du lit, cherchant furtivement ses mouvements dans l’appartement, lorqu’Azenor revient dans la chambre. La boisson aménagée qu’il me présente sous le nez s’avère tant atypique qu’elle me laisse dubitatif. Mes yeux papillonnent d’incrédulité devant la paille en plastique plantée dans la poche de sang. Mes doigts se referment dessus, incertains, alors que le vampire me l’abandonne. Je me lève de bonne grâce, faisant quelques pas sur le parquet avant de me laisser tenter par l’appel du rouge sombre du breuvage. Contre toute attente, mes papilles accueillent avec ravissement le goût métallisé. Je finis par me prêter définitivement au jeu, laissant mes dents mordiller distraitement la paille tout en me nourrissant, pendant que mon amant de ce jour s’affaire de plus belle dans la pièce.

Je le regarde faire, fasciné par la vitesse furtive de ses gestes alors qu’il change les draps. Peu à peu je prends conscience de toutes ces nouvelles capacités qui vibrent dans mes muscles, sans que je ne sache comment en user. Sa force, sa vitesse et sa bestialité en sont la preuve concrète. Je me perds un instant dans mes réflexions, l’esprit engourdi par l’onctuosité du sang contre ma langue. Je me fais surprendre lorsque sa main me colle une claque sur le cul et que sa question, taquine, titille mon oreille. Pour toute réaction, je lui lance un regard noir.

- On s’y fait.

Je grommelle entre mes dents lorsque mes lèvres parviennent enfin à relâcher leur emprise sur la paille. Je me retiens d’ajouter une remarque supplémentaire ; ma boisson hors norme me plaît, mais ça n’a rien d’aussi stimulant que sa saveur, à lui. A cette idée, le goût de son sang semble encore pétiller contre mes lèvres comme lors de ce féroce baiser qui a provoqué notre étreinte précipitée.

Mais encore une fois, Azenor ne semble pas prendre ombrage de mon irritation. Son sourire m’ébranle tandis qu’il s’éloigne déjà, lâchant dans son sillage qu’il m’abandonne le temps d’une douche. Mes yeux le suivent jusqu’à ce qu’il disparaisse pour de bon, me laissant totalement seul dans son intimité la plus totale.

En quelques gestes, je me nettoie et renfile mon sous-vêtement ainsi que mon jeans. Je laisse la poche vide sur la table du salon, avant de récupérer naturellement la clope fumante et inachevée dans le cendrier. La nicotine s’infiltre dans mes poumons et me fait un bien fou. Mes épaules se relâchent de bien être lorsque j’expire ma première bouffée d’air. Mon ouïe capte le bruit discret de l’eau qui coule derrière la porte de la salle de bain. J’ignore pour combien de temps j’en ai, mais mon attention court déjà sur l’intérieur de l’appartement. Mes pieds nus s’aventurent dans la cuisine ouverte. Ma main se lève pour récupérer la bière chaude abandonnée sur la table centrale tout à l’heure, lorsque quelque chose pique soudainement le coin de mon regard. Mon mouvement se meurt avant que je n’aie atteint la bouteille. Je me tourne alors vers un vieux carnet négligemment posé dans un recoin du plan de travail.

Il est ancien, ce bouquin. J’en prends particulièrement conscience lorsque mes doigts touchent le cuir sans âge de la couverture usée par le temps. Une question surgit abruptement dans mon esprit. Le vampire avait parlé d’immortalité, l’autre nuit. Ce détail ne m’avait pas percuté sur le coup. Quel âge a-t-il ? Me promettant d’approfondir le sujet, je me laisse aller à l’envie de nourrir la curiosité insolente qui fourmille sous mes ongles.

L’odeur du vieux papier me saute au nez lorsque je tourne la première page du cahier. Mes yeux éhontés glissent sur le contenu des feuilles légèrement jaunies par les années. L’écriture est fine, fluide, légèrement arquée. Cet objet vient tout droit d’un autre temps. Je ne mets pas longtemps à le comprendre, alors que les mots que je déchiffre me restent totalement inconnus. On dirait du vieux français. Rien que ça.

La cendre oubliée finit par tomber de ma cigarette sans que je n’y prête attention. Je feuillette rapidement le manuscrit, envisageant déjà de le laisser là où je l’ai trouvé sans plus lui accorder un regard, lorsque qu’un élément plus lourd que les pages bloque le jeu de mon pouce. J’ouvre le carnet là où mon doigt a buté. Une photo tombe à mes pieds dans un bruissement léger. Intrigué, mon regard retombe presque malencontreusement sur l’encre tracée par la plume d’Azenor.

« Par instants brille, et s'allonge, et s'étale
Un spectre fait de grâce et de splendeur.
A sa rêveuse allure orientale,

Quand il atteint sa totale grandeur,
Je reconnais ma belle visiteuse :
C'est Elle. Noire, et pourtant lumineuse. »

Les vers me laissent stoïque, malgré leur aura suintant de deuil. Je récupère le mégot au goût âpre entre mes lèvres, avant de me pencher pour récupérer le clicher échoué sur le carrelage. Le portrait représente une femme au visage angélique. Une douceur chaste se reflète dans le fond de ses yeux. Sur sa peau d’ivoire, un léger sourire timide éclaire subtilement sa beauté céleste. Je me redresse alors que mes yeux se perdent dans ses cheveux aussi lumineux que le soleil. C’est à ce moment-là que la porte de la salle de bain s’ouvre dans mon dos. Et à ce moment-là également que je me rends compte que l’eau de la douche s’est arrêté sans que je ne m’en rende compte.

Je me tourne vers le vampire pour croiser son regard. Son parfum se disperse déjà dans la cuisine. Ses cheveux humides et ébouriffé sur sa tête lui donne un côté sauvage et absolument irrésistible. Un sourcil caustique se hausse sur mon front, juste avant que je ne lui désigne la photo. Une étincelle sarcastique traîne dans le fond de ma voix lorsque je demande :

- C’est ta copine ?

Je me laisse envelopper par la chaleur bouillante de la douche pendant de longues minutes, laissant mes pensées vagabonder librement dans mon esprit. Je ne peux pas m’empêcher de penser à ce baiser qu’il m’avait offert, à ce balai de sensations qui s’était offert à nous et à cette envie brut de lui qui m’avait submergée en un éclair. Il me faisait un effet monstrueux, presque douloureux. Ca faisait longtemps, que je n’avais pas été comme ça. Loin de mes amants habituels et des toilettes infectent du Fuse. Loin de ma vieille amie solitude, avec laquelle je passais la plupart de mes nuits ses dernières années. Moi qui avait tant fuit les soirées endiablées, je me retrouvais bien con à me prendre la tête pour un petit gars sorti de nulle part. Il suffisait que je repense au délicieux regard meurtrier qu’il m’avait envoyé alors que je quittais la chambre pour provoquer un nouveau sourire sur mes lèvres. Ce regard là m’amusait beaucoup trop pour que je n’ai pas envie de le taquiner un peu plus.

L’eau se coupa en même temps que je sortais de la douche, m’essuyant rapidement avant de glisser ma serviette sur mes hanches, prenant une autre serviette pour mes cheveux, la plaçant sur mes épaules, autour de mon cou. Il n’y avait aucun son provenant du salon. Rien, le calme plat. Et si il c’était juste barré comme la dernière fois ? Et si il n’avait jamais prévu de rester mais qu’il avait profité de mon absence pour le faire ? Incertain, j’activais la poignée de la porte, accueillant le souffle frais de l’air dans mes cheveux, effleurant mon visage alors que je quittais enfin la pièce. Mon regard se posa rapidement sur son dos, laissant le soulagement me couvrir de son manteau rassurant. Il était toujours là, il n’était pas parti. Pas encore. Mon éternel sourire revient barrer mes lèvres, au moment même où il se tourna vers moi. Mes yeux s’accrochèrent à l’expression de son visage avant d’échouer sur la photo qu’il tenait en main, puis sur le journal qu’il tenait de l’autre, s’écarquillant de surprise avant même que sa voix ne heurte douloureusement mes pensées, s’insinuant agressivement jusqu’à mon âme. Mon sourire se transforma en un rictus mauvais alors que je me déplaçais vers lui en un éclair, reprenant violemment la photo de ses doigts. Ma main libre vint s’abattre sur le carnet pour le lui reprendre tout aussi farouchement sous un grondement que je fus incapable de contrôler.

« Ta mère ne t’as jamais appris à ne pas fouiller dans les affaires des autres ? »

Ma voix était aussi incisive qu’une lame de rasoir, glacée, cassante. J’ouvrais mon carnet à la bonne page pour y ranger la photo alors qu’un pincement au coeur me pressa la poitrine. Je traversais le salon sans un regard en arrière pour aller dans ma chambre, ranger précieusement mon carnet où j’étais sûr qu’il ne pourrait pas le trouver, puis je reviens dans le salon, faisant comme si de rien était en m’installant dans mon canapé. J’attrapais rageusement mon paquet de clopes pour en allumer une, chassant d’un revers de main toute pensée en liaison avec mon carnet ou tout autre sujet de mon passé. Ma main vint s’abattre sur ma bière abandonnée que je portais à mes lèvres. Mais pour qui se prenait-il pour faire ce genre de chose ? Fouiller dans mes affaires ainsi ? C’est ta faute Azenor, t’es trop con de laisser trainer ce genre de chose. Je soupirais de rage contre moi même, mes doigts venant compresser l’arrête de mon nez alors que je fermais les yeux. J’avais presque envie de le mettre dehors pour ça. Parce que je savais qu’il allait sans doute chercher des explications, au mieux. Au pire, il avait lu ce que contenait mes écrits et il allait maintenant bien s’amuser à ce moquer de ma gueule. Putain Az, t’es vraiment trop con.

Sa colère, brusque et explosive, m’englobe comme un souffle chaud. Le carnet et la photographie qui l’accompagnait disparaissent brutalement de mes mains, alors que le regard meurtrier d’Azenor me feule au visage. Je ne cherche pas à l’en empêcher. Au lieu de ça, je le toise d’un air blasé. L’avantage d’être perpétuellement agacé par le monde entier, c’est que la fureur que je peux générer sur les autres parvient rarement à écorcher mon détachement insensible. Je roule des yeux, trouvant sa réaction franchement exagérée. Mes pas retracent le même chemin que lui vers le canapé. Je me penche pour larguer le mégot que je lui ai volé dans le cendrier et récupère mon paquet de cigarettes cabossé au fond de mes poches. Un nouveau bâton de nicotine trouve sa place entre mes lèvres, alors que le vampire est déjà en train de tirer avec hargne sur la sienne. Je dérobe le briquet qu’il a balancé sur la table basse et, une fois mon précieux bien allumé, je me laisse tomber à ses côtés sur les coussins.

Mon regard traîne brièvement à l’extrémité du sofa, prêt du radiateur. Je chasse rapidement la drôle d’impression qui me dérange l’estomac. Il est temps de passer à autre chose. Les cordages, c’était très probablement un mal pour un bien. Mon attention se concentre sur l’homme à demi nu qui se tue à m’ignorer, tandis que je laisse mon épaule s’appuyer avec négligence contre le dossier.

- Ma mère voulait que je devienne médecin et que j’aie une belle maison familiale dans une banlieue bourgeoise de Lake Charles. Pas que je me fasse tringler sans cérémonie dans une cabine de toilettes dégueulasse.

J’ai une moue désinvolte. Ma mère m’a aussi appris à dire merci quand on me tient la porte et à ne pas dire de grossièreté. Autant dire que, son avis, j’en ai rien à branler. Mon amant furibond peut très bien remettre mon éducation en doute si ça peut soulager ses frustrations ; il aurait tout à fait raison. J’étudie son expression fermée, ses lèvres droites et légèrement pincées, et ses yeux particulièrement déterminés à faire comme si je n’étais pas là. Ses doigts serrent fermement la cigarette incandescente. Les muscles de sa mâchoire saillent sous la peau de son visage, contracté sous la colère qu’il rumine en silence. Ses cheveux gouttent discrètement sur la serviette qui entoure ses épaules. J’ai envie de passer ma main dedans, pour chasser les gouttes humides qui y sont coincées. Les traits tirés sur ses joues m’en dissuadent pourtant. Le sujet est sensible et, vu l’air qu’il affiche, encore cuisant. Même comme ça il reste singulièrement attirant.

- Une ex, alors.

Je corrige mes propos, un rictus railleur aux coins des lèvres, avant de tirer une nouvelle bouffée d’oxygène sur ma cigarette. Sa réaction extrême me pousse à continuer sur cette pente dangereuse. Au fond de moi, je me doute pourtant que la puissance qui l’anime pourrait rapidement me réduire en miette. Mais c’est comme ça. Flirter avec le danger et jouer les sales cons, c’est ma deuxième raison de vivre après la nicotine.

Comme je le pensais, il ne lâche pas l’affaire. Mon regard reste obstinément fixé sur la télévision résolument noire en face de moi, refusant de lui accorder le moindre regard ou la moindre attention. L’indifférence, l’ignorance est bien préférable à la simple idée de céder laisser bondir la bête grognant méchamment en moi. Pourquoi fallait-il qu’il ai mit le doigt là-dessus aussi vite ? Néanmoins, je l’écoute avec attention lorsqu’il s’assoit à mes côtés. Sa connerie m’arracherait presque un sourire. Je me sens con à penser qu’au moins j’en apprend plus sur lui. Mais ma colère pulse dans mon ventre, prête à surgir à la moindre remarque, la moindre pique qu’il lancera. Et évidemment, il ne peut pas s’en empêcher. Une fois encore, mon visage grimace à son propos. Putain Neven, tu ne sais pas t’arrêter quand il le faut, pas vrai ? T’es le genre le gars qui cherche les problèmes, qui creuse le plus profond possible jusqu’à trouver le point sensible, n’est ce pas ? Mon poing se serre dans ma main alors que je me retiens de lui sauter dessus pour lui faire ravaler ses paroles. A la place, je ferme les yeux, prenant une inspiration avant de soupirer finalement. Il ne lâchera pas le morceau, de toute façon. Mon regard quitte l’écran pour se planter sur ma cigarette trainant au bout de mes doigts.

« C’est ma femme. Et ma meilleure amie. Elle est morte... il y a bien longtemps. »

Ma phrase se fini sur mon regard se posant enfin sur lui. Je détestais voir cette expression sur son visage. Ce rictus détestable qu’il affichait comme si il voulait absolument que je rentre dans son horrible jeu. Et bien non, je ne lui ferais pas ce plaisir. Je ne lui ferais pas le plaisir de tenter de me faire du mal d’une quelconque manière. T’es qu’un putain de gosse Neven. Un gosse qui cherche la merde.

« Satisfait ? Laisse tomber maintenant. »

Je tirais sur ma cigarette en me levant, emportant ma bière avec moi. Je ne voulais pas en parler. Je ne voulais plus l’entendre pour le moment. Qu’il reste si il en avait envie, je m’en fichais totalement. Tout ce qui m’importait, c’était de ne plus entendre ses railleries sur ma femme. Ou sur n’importe quoi d’autre concernant mon passé. Il était déjà tard dans la journée et j’étais crevé. Je n’avais plus les nerfs pour supporter ça.

La confession tombe, et avec elle, les reliquats du passé du vampire. La nouvelle me prend de court, suffisamment pour que je lui laisse le temps de se relever sans trouver quelque chose à rétorquer. Sa requête autoritaire me passe complètement par-dessus la tête alors que je me tourne vivement vers lui, piqué à vif dans ma curiosité. Cette fois, ce n’est plus seulement pour le charrier. Je veux savoir. Il est beaucoup trop évasif pour s’en tirer comme ça.

- T’as été marié ?

La surprise me cloue sur le canapé. Un sourire amusé vient poindre le bout de son nez sur mes joues étonnées. Ce n’est pas tant le fait que la femme en question soit morte qui m’intrigue, mais bien de l’imaginer, lui, en train d’assumer un rôle de mari. Mon esprit tourne à toute vitesse. Vu la qualité de la photo et vu l’état des pages du recueil, alors cette fille est elle aussi issue d’une autre époque. Les propos imprécis d’Azenor quant à la date de son décès ne font que confirmer mes soupçons. Ce mec est beaucoup plus vieux que ce qu’il veut bien laisser paraître.

- Attends ! Ça fait combien de temps ?

Je bondis enfin sur mes pieds pour me lancer à sa poursuite. Ma cigarette valdingue dans le cendrier.

- Tu as quel âge exactement ?

Mes questions s’enchaînent sans scrupule. Il n’a pas le droit de me le reprocher. Ça fait trois jours que je lui ai foutu la paix. Trois jours que je tourne en rond, certes de mon propre gré, en crevant sous le poids des interrogations. Aujourd’hui ma curiosité éclate. Comment tout ceci est possible ? Comment vivre autant d’années sans devenir complètement cinglé ? Que faire pendant tout ce temps ? Qu’a-t-il fait, lui, pendant tout ce temps ? Sa fuite me frustre et m’agace. Alors je le rattrape, ma main venant s'accrocher à son bras pour le retenir auprès de moi. Mes sourcils se froncent sous l'incompréhension.

- Pourquoi tu ne l’as pas transformée ? Pourquoi tu ne l’as pas mordu comme tu l’as fait avec moi ?

La surprise pointe dans sa voix alors qu’il commente mes propos. Je ne sais pas ce qui m’agace le plus, l’amusement que j’y perçois ou le fait qu’il continue sur sa lancée alors que je quitte la pièce. Ses questions s’enchainent, le goulot de ma bière atterri brutalement entre mes lèvres. Pourquoi faut-il qu’il soit si curieux ? C’est comme si ma supplication d’arrêter d’en parler lui était passé totalement à travers. Et puis, sa dernière question fuse au moment même où je sens sa main s’abattre sur mon bras, me retenant brusquement à lui. Je me retourne pour lui faire face en une fraction de seconde. Mes sourcils se froncent sur mon visage alors que sa question me broie le coeur, ma bouche s’ouvre pour cracher mes mots glacés et rempli de la rage qui bouillonne en moi.

« Qu’est ce que tu crois au juste ? Je l’ai transformée ! Et elle en est devenue folle ! Elle est devenue un monstre, un être sanguinaire et insatiable. Je n’ai pas eu d’autre choix que d’en finir avec elle. »

Je déverse ma rage les poings serrés, la voix brisée par tous les souvenirs enfouis profondément en moi qui remontent en l’espace d’un instant. Je sentais ma colère prendre le pas sur ma raison alors que j’approche dangereusement de lui, mes iris brillantes plongées dans les siennes.

« Tu veux tout savoir de moi ? Assouvir ta putain de curiosité ? Très bien ! Je suis né en pleine Renaissance, il y a plus de cinq cent ans. J’avais une famille, une femme et deux magnifiques petites filles. Et devine quoi ? Je suis devenu un vampire et j’ai tout détruit, en un claquement de doigts ! »

Ma main vint s’abattre sur son torse alors que j’illustrais mes propos. J’imposais une pression suffisante pour le faire reculer de plusieurs mètres, jusqu’à ce que son dos heurte douloureusement le mur. En un éclair, j’étais à nouveau sur lui, le plaquant au mur avec force avant que mon poing n’explose contre celui-ci, juste à côté de sa tête. C'est comme si toute la pression se relâchait en un instant sur mes épaules alors que je quittais son regard pour le sol. Je soupirais longuement, décollant ma chair meurtrie de la bâtisse à présent en sang.

« Je suis fatigué Neven. Est-ce qu'on pourrait juste... Passer à autre chose ?»

Mes iris remontèrent jusqu'aux siennes alors que je m'éloignais sensiblement de son corps. Ce n'était pas sa faute après tout. C'était juste de la mienne.

La force de sa rancœur me pète au visage comme une bombe. Ses mots me bousculent, presque autant que sa main qui me repousse violemment contre le mur du salon. Mes omoplates grincent sous le coup. Son geste menaçant me fou les nerfs à vif. Et plus encore lorsque son poing s’abat avec hargne dans le plâtre à deux doigts de ma tête. De la poussière blanche éclate dans les airs. Ça me pique la rétine alors que je sens clairement le souffle sauvage d’Azenor ricocher contre ma joue. Ça y est, la limite est dépassée.

Pourtant, lorsque je rouvre les yeux une fraction de seconde plus tard, son regard s’est complètement métamorphosé. Une affliction lasse déforme ses lèvres. Je découvre quelque chose de poignant dans le fond de ses yeux soudain éteints. C’est comme si tous ces siècles qu’il traîne derrière lui pesaient désormais sur ses épaules. Le poids de ses remords devient presque palpable. Je discerne son arôme mélancolique m’enserrer la poitrine. Mes yeux fouillent son visage, et brusquement, un regret me pique de l’intérieur. T’aurais pas pu fermer ta gueule Nev, pour une fois.

La brusque tension accumulée dans mes membres se dissipe doucement. L’effluve de son sang flotte doucement dans la pièce. Ce simple détail suffit à chasser les restes de mon agitation énervée, déclenchant plutôt une inquiétude étouffée au fond de mon âme. Sa poigne me lâche. Il recule de plusieurs pas. Sa demande parvient à peine jusqu’à mes oreilles, tant le timbre de sa voix contraste avec son précédent sursaut d’humeur. L’épiderme de ma nuque frémit. A cet instant précis, je sens clairement le lien inaltérable qui me retient à lui. Ce même lien qui m’a conduit à revenir jusqu’ici. Qui m’a poussé à trouver son contact, sa chaleur, son odeur. Maintenant, je comprends que jamais je n’aurais pu l’ignorer. Jamais je n’aurais pu continuer comme si rien ne s’était passé. J’ai besoin d’Azenor, aussi sûrement que ses dents se sont plantées dans ma chair pour me faire renaître.

Mon corps se meut avant que je ne m’en rende réellement compte. Mon dos quitte le mur pour me laisser grignoter à nouveau la distance qu’il a réinstauré entre lui et moi. Mes doigts se referment précautionneusement sur ses phalanges meurtries sur lesquelles transparaît son sang. Mes lèvres effleurent la courbe masculine de sa mâchoire, tandis que le reste de mon être vient trouver un appui contre lui. Je ne l’embrasse pas, préférant plutôt laisser mon nez contrit se loger contre son cou. Je me gave de son parfum alors que mon bras libre se glisse dans le creux de ses reins. Mon étreinte se referme presque timidement autour de lui, tandis que je me laisse, à mon tour, gagné par cet éreintement usant qui pèse sur nos consciences. Je me fie à sa requête. En silence, abandonnant le conflit. Comme pour demander pardon.